Le réel donne vie au virtuel

par | 30 Déc, 2020 | realite virtualisee | 0 commentaires

A l’image des artistes de la Renaissance qui étudiaient en profondeur le vivant et la nature pour la retranscrire le plus fidèlement possible en peinture. Recréer virtuellement le monde réel, c’est également d’abord l’étudier, tenter de mieux le comprendre, décrypter l’ensemble de ses phénomènes biologiques, physiques, etc. et développer toutes les technologies possibles pour le rebâtir virtuellement. Les octets et algorithmes et polygones ont remplacé les fusains, pinceaux et toiles du XVeme siècle. Cette quête du réalisme incite positivement à mieux comprendre notre monde et pousse les scientifiques, artistes et technologies dans leurs derniers retranchements.

Il nous est pour le moment inimaginable de pouvoir simuler un ou plusieurs univers entiers comportant des milliards de détails et d’interactions, de l’atome à une planète entière voire même une galaxie. Les puissances de calculs seraient astronomiques, de quoi vider une planète telle que la nôtre de toute son énergie, et les temps de programmation, de modélisation et de maintenance avec nos techniques actuelles seraient quasiment infinis. Mais, pour créer un voir des univers digitaux crédibles et habitables, il n’est pas nécessaire de recréer minutieusement chaque chose, chaque détail, chaque cellule de matière dans tout l’univers. Recréer le monde immédiatement visible et palpable pour chaque individu virtualisé suffit amplement à lui faire croire que le monde qui l’entoure et lui-même sont réels. Le minimum requis pour simuler la réalité est de tromper la conscience de chaque habitant virtuel pour qu’il pense que la simulation est réelle.

« Notre cerveau ne croit que ce qu’il voit, donc quand le champs de vision est totalement occupé par une simulation et que de surcroît on y ajoute une immersion sonore ou tactile, alors l’individu adhère totalement à la réalité qui lui est proposé, il se déconnecte de la réalité précédente »[i].

Le secteur du Jeux vidéo, par exemple, emploi déjà des techniques où seule la focale visible est recréée et où l’affichage des objets lointains est optimisé afin d’en réduire les besoins de puissance de calculs. Cela n’empêche pas chaque génération de contenus virtuels de tromper toujours plus nos sens, au point de plus en plus souvent de ne plus pouvoir distinguer clairement la simulation de la réalité. Chaque année les univers virtuels gagnent ainsi en taille, en niveau de détails, en immersion.

Depuis les débuts de la 3D et des interfaces de virtualisation il y a moins d’un demi-siècle, les concepteurs virtuels se sont attachés à recréer les phénomènes réels pour y immerger plus efficacement leurs spectateurs. Leur première volonté a généralement consisté à augmenter les chances d’immersion du spectateur par le développement de technologies lui rappelant le monde réel, de manière à ce qu’il y trouve ses marques, des repères « réels ». La plupart des technologies et des savoir-faire des développeurs étaient majoritairement consacrés à l’étude des phénomènes physiques ou comportementaux réels pour les recréer le plus fidèlement possible dans les expériences virtuelles. Recréer la flamme d’une bougie, les reflets dans l’eau d’un lac, le rayonnement du soleil au travers des branches d’un arbre, la chute d’un objet par une gravité artificielle, les mouvements d’un personnage ou d’un animal, le chant des oiseaux ou le bruit d’une cascade, … Chaque étape de recréation de ces composants du monde réel était une victoire sur la machine, représentait des centaines d’heures de travail, surprenait sans cesse davantage un public toujours plus grand. Désormais ces bouts de programme de phénomènes réels ne sont plus que de simples modules graphiques ou asset fonctionnels disponibles gratuitement sur les plateformes de contenu des logiciels 3D. Presque plus aucun concepteur de 3D ne passe de temps à les programmer, ils sont implémentés automatiquement permettant aux développeurs de se concentrer sur l’amplification de la richesse des détails, des fonctionnalités et des histoires à raconter. Bien sûr certains continuent de sillonner des régions entières pour photographier et cartographier le moindre élément caractérise de manière afin de les reproduire dans leur expérience virtuelle avec toujours plus de détails et de fidélité à la réalité.

La majorité des créateurs de contenus et expériences 3D sont devenus des assembleurs de bibliothèques de composants, matériaux et scripts modélisés ou programmés par d’autres. Des indépendants, des passionnés ou des communautés de plus en plus importantes et désormais organisés. On ne compte plus les sites dédiés à des téléchargements de contenus, pour le mobilier, les objets du quotidien ou fantastiques, les textures toujours plus réalistes. En un clic il est possible de trouver l’élément de son choix et de l’implémenter dans l’univers virtuel que l’on crée. C’est tout le pipeline de création de contenu qui s’est simplifié au point désormais de se vulgariser. Les bibliothèques de contenus virtuels sont immenses mais il n’est pas rare de retrouver les mêmes assets, comme les appellent les experts, entre plusieurs créations. Une même texture de rocher employée ici et là, un mobilier instancié dans plusieurs univers, des personnages qui finissent par se ressembler ou qui ont les mêmes visages.

N’importe qui peut devenir créateur de contenu ludiques, interactifs ou immersifs tellement cette industrie s’est rendue accessible. La plupart des logiciels désormais portés sur du web proposent des abonnements gratuits  ou très peu chers, tous sous le modèle de l’abonnement pour là encore faire baisser la facture. Des logiciels gratuits, tels que Blender, ou devenus gratuits, tel l’Unreal Engine, développés et portés par des communautés de créateurs et d’ingénieurs se retrouvent même désormais dans les studios professionnels de création tellement leur contenu et fonctionnalités se sont étoffés au fil des années. Ubisoft, le plus grand studio de création de jeux vidéo au monde utilise ainsi Blender dans son pipeline de création. Les softs de création 3D ont tout intérêt à se rendre accessibles pour créer rapidement d’importantes communautés de créateurs et les rendre dépendants de leur technologie. Ces créateurs, arrivés dans les studios de création apportent naturellement leurs méthodes et outils de création de contenu avec eux, favorisant le déploiement des logiciels au sein des entreprises.

Dans le futur, les habitants de mondes virtuels seront libres de composer et modifier leurs mondes à leur guise aussi facilement que de commander un plat sur le web. Une simple commande vocale pourra agrandir les dimensions de votre salon, changer la couleur des murs, l’heure de la journée, enclencher la création d’une cascade dans votre salon, ou même y inviter des personnalités. L’humain digitalisé vivra dans un monde virtualisé où tout sera facile, sans réelle conséquence. Mais ces contenus seront certainement payants comme ils le sont actuellement dans les jeux vidéo.

Le Virtuel s’adressant d’abord à l’humain, il se doit de disposer des mêmes logiques et repères que le réel pour parvenir à nous capter puis nous captiver. Certains développeurs du jeu Scum sont ainsi allés jusqu’à se priver de nourriture pour en comprendre les effets afin de mieux les retranscrire dans leur jeu vidéo[ii]. Le Virtuel est ainsi, pour le moment, intrinsèquement lié au monde réel, il s’y enracine avant peut-être un jour de s’en défaire lorsque les humains ne seront plus exclusivement les seuls à devoir être immergés dans le virtuel. Que le Virtuel rejoigne l’imaginaire ne semble plus impossible. Le Virtuel est imaginé comme pouvant avoir le même niveau de détails et d’immersion que le monde réel. A l’exemple du film Serenity, dans lequel on ne sait pas si l’histoire vécue est un monde virtuel ou bien l’imaginaire.

Déjà, par leur appellation ces technologies de « réalité » virtuelle, augmentée, mixte, etc. ont commencé à empiéter sur le réel, essayant de se l’approprier, de le façonner, voire d’en construire de nouvelles versions. Les médias tentent de capter notre temps disponible et les interfaces virtuelles, quant à elles chercheront pour la plupart à nous couper de notre monde réel.

[i] Vanessa Lalo, Psychologue spécialiste des médias numériques

[ii] Article traitant du jeu Scum sur Gameblog

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