
Human uploading
Nous existons dans le monde réel par l’intermédiaire de notre corps, par les interactions qu’il nous permet de transmettre à notre environnement et aux autres. Notre corps biologique, malgré les pouvoirs dont il nous dote dans le monde réel, n’est pas transportable en tant que tel dans le virtuel numérique. Nous pouvons seulement le remplacer par un avatar, un jumeau numérique, c’est-à-dire une copie numérique fidèle de notre corps ou bien une toute autre forme.
Dans le virtuel actuel, chaque avatar est créé et dirigé par une personne réelle au travers d’interfaces homme-machine ou plutôt homme-avatar tels que des écrans ou équipements de captation des mouvements, c’est-à-dire les prémices d’interfaces de virtualisation. Un avatar numérique sera encore longtemps dirigé par notre corps réel mais aussi et surtout par notre cerveau qui, un jour pourrait devenir le connecteur unique avec les mondes digitaux. Selon la profondeur d’immersion dans le virtuel, notre corps réel sera mis plus ou moins à contribution. En fait, il le sera d’autant moins que les techniques de virtualisation seront évoluées.
Au stade actuel de « réalité artificielle », mêmes les meilleures interfaces de virtualisation continuent de réclamer à notre corps de bouger nos membres, de regarder autour de nous, de presser des boutons. Se déplacer requiert encore de pousser un joystick ou de déambuler dans le périmètre très restreint de son salon. Le monde réel est encore aujourd’hui une limite dont les interfaces virtuelles ne parviennent pas encore à s’affranchir.
Nos cinq sens ne sont pas non plus tous captés ni sollicités. Nous continuons de renifler le réel, de marcher sur un corps physique qui ne correspond pas nécessairement à celui du monde virtuel que nous arpentons, nous ne ressentons pas vraiment la forme des objets virtuels que nous prenons en main car ces dernières tiennent des manettes.
Les prémices du virtuel augmenté apparaissent déjà au travers de l’évolution de ces premières interfaces, gants haptiques, simulateur d’odorat, casques de réalité virtuels et augmentés plus immersifs, etc. mais la sensation d’un équipement enveloppant son corps demeure et les interfaces avec lesquelles interagir interdit à notre cerveau de se croire totalement immergé. Au point d’ailleurs pour la plupart d’entre nous de provoquer des malaises, des maux de têtes, du « motion sickness ».
Dans le virtuel absolu, notre corps biologique resté dans le réel deviendra simple senseur auquel seront greffés des interfaces de virtualisation sensorielle. A ce stade là, tout porte à croire que seul notre cerveau sera connecté, car en s’adressant à lui directement les fournisseurs d’interfaces virtuelles s’adresseront, en un seul point, à l’ensemble de nos sens pour s’affranchir définitivement de tout autre forme d’interface. Pour l’être biologique, cela pourrait s’assimiler à un coma artificiel… ou plutôt virtualisé, une immersion totale qui tromperait l’ensemble des sens.
#hardware et software
Notre corps humain et le cerveau qu’il abrite se comportent respectivement comme un système hardware et software d’ordinateur qui auraient été conçus de manière indissociable. Si l’humanité fait le choix de continuer sa course vers la Virtualisation absolue, c’est-à-dire de ne faire plus qu’un avec lui, l’Homme va devoir abandonner son hardware à l’image de l’informatique physique passant progressivement au Cloud. La progression de virtualisation de l’Homme va consister à progressivement décorréler ces deux entités liées, le corps et le cerveau.
L’imaginaire est déjà capable de désunir notre esprit de notre corps. Nous sommes habitués mentalement à nous rêver autrement ou ailleurs, à changer de peau ou à nous en affranchir. Les programmes informatiques ont besoin d’un ordinateur pour fonctionner et se manifester, tout comme l’esprit a besoin d’un cerveau[i]. Et l’esprit peut lui-même affecter notre corps comme le numérique impacte désormais notre quotidien, nos choix et nos capacités. Mais le cerveau pourrait ne pas avoir nécessairement besoin du corps, si ce n’est pour se mouvoir dans l’espace, interagir avec et s’alimenter en énergie. C’est essentiellement ce dernier point que la dématérialisation humaine devra résoudre pour devenir parfaitement digitale.
Soit nous garderons notre cerveau, soit nous le numériserons.
Dans le premier cas nous ressemblerions aux humains larves de Matrix maintenus en vie par des tubes et du liquide amniotique, dans le second cas nous ressemblerions à un disque dur fiché dans un data center. Il n’est pas dit néanmoins que la première solution soit la plus souhaitable. Dans le premier cas vous préserveriez votre corps biologique, telle une copie physique réutilisable en cas de problème mais ce corps serait mortel, dans le deuxième cas vous vous affranchiriez totalement de votre corps biologique avec comme peur de ne plus être maître un jour de votre destin avec la peur qu’on vous copie ou qu’on vous supprime d’un simple clic.
Certes, en tant qu’êtres Humains encore biologiques ces perspectives nous effraient au plus haut point mais imaginons que nous n’ayons plus le choix, que le voyage inter planétaire ne soit pas possible, que la terre ne puisse plus subvenir à nos besoins, ferions-nous le choix d’aller dans des mondes numériques pour y poursuivre notre vie avec à la clé des pouvoirs et un confort augmentés ou préférerions nous mourir, ne plus exister tout court, sinon tenter l’au-delà pour voir si une vie existe après la mort ? Il est peut-être plus probable que vous choisiriez de vous dématérialiser d’une manière ou d’une autre pour prendre la suite de votre destin en main plutôt que de tenter la mort qui, de surcroît, effraie par instinct au plus haut point toutes les entités vivantes.
C’est bien l’Homme qui pourrait volontairement ou malgré lui passer du réel au digital.
Jean-Michel Besnier fait valoir que pour des raisons épigénétiques, les neurobiologistes estiment qu’il ne saurait y avoir de cerveau isolé comme l’imaginent les post humanistes ou transhumanistes.
Brancher son cerveau correspondrait à se couper la tête pour la brancher sur un corps artificiel, en perdrions-nous notre ressenti de nous -même ?
Notre cerveau n’est peut-être pas conçu pour comprendre les théories de l’univers, il dispose peut-être d’une structure de pensée limitée par rapport aux multiples dimensions de l’univers ?
Nous avons déjà du mal à admettre la plupart des théories de l’univers telle que la théorie des cordes ou encore la logique quantique permettant l’existence simultanée d’états de matière distincts à plusieurs endroits, plusieurs temporalités. Digitaliser le cerveau de l’homme sous-entend il faire passer l’homme entier dans le virtuel ? Où est l’âme ? Ce serait considérer que la conscience de l’homme est contenue exclusivement dans son cerveau.
Après être parvenu à virtualiser ses cinq sens, l’Homme pourrait souhaiter poursuivre sa progression de dématérialisation dans le Virtuel et décider d’y brancher son connecteur biologique ultime, son cerveau. Le cerveau humain est un organe très énergivore qui consomme près de 20% de la consommation énergétique du corps alors qu’il ne pèse que 2% de son poids. Tour de contrôle / centre névralgique de nos cinq sens, générateur de notre intelligence, de nos émotions, de nos sensations et peut-être de notre conscience, le cerveau est si l’on parvient à le connecter au Virtuel le moyen le plus avancé biologiquement pour ressentir et interagir avec ce dernier.
Les connexions Homme-machine sont déjà une réalité. La société Neuralink[ii] fondée par Elon Musk connecte dès 2021 le cerveau de personnes paralysées ou handicapés à des réseaux de neurones leur permettant de communiquer directement avec des machines. Leur permettant d’agir avec des machines rien qu’en y pensant.
Le développement des interfaces d’augmentation cérébrale n’intéressera le grand public qu’une fois qu’elles permettront de réaliser des tâches supérieures à la normale. Les premières greffes d’IA limitées rendront d’abord de fiers services aux personnes déficientes leur donnant l’espoir de rejoindre les capacités cognitives moyennes.
Mais l’augmentation de puissance des connecteurs cérébraux pourrait facilement engendrer une course à l’intelligence qui pourrait vite devenir une course à la supériorité. Une course qui pourrait renforcer les clivages entre classes aisées, capables de s’augmenter exponentiellement, et classes moyennes ou pauvres devant se contenter d’interfaces d’augmentation moindres.
Arrivé au stade de Virtuel Absolu, notre principal connecteur au virtuel sera notre cerveau. Il demeurera alors le dernier élément biologique réel, avant qu’une étape ultime ne parvienne à transplanter notre conscience et notre intelligence dans le virtuel. Si nous choisissons de nous digitaliser en préservant nos cerveaux connectés à une forme de matrice, la limite de la Réalité Digitale ne sera pas la puissance technologique mais bien la puissance et les capacités de nos cerveaux. Il est réputé que le cerveau biologique dispose de capacités infinies mais nous avons encore bien du mal à le comprendre et à le manipuler. Nous dématérialiser sous forme totalement numérique aurait l’avantage de nous affranchir des besoins énergétiques du cerveau biologique tout en nous donnant la capacité d’augmenter perpétuellement et indéfiniment nos puissances de calculs.
Pour que le Virtuel nous immerge, nous trompe ou nous augmente, il lui faudra d’abord convaincre notre cerveau. Et donc préalablement le comprendre.
Des sociétés parviennent déjà à modéliser des parties de cerveau pour en comprendre les mécanismes. De premières interfaces neuronales permettent d’actionner un bras ou jambe artificiel, d’autres permettent à des aveugles de voir des bribes de couleurs et de lumières. Nous apprenons lentement mais sûrement à dompter notre cerveau et il y a seulement vingt ans ces évolutions n’étaient pas envisageables.
Il est donc probable que les futures technologies parviennent à nous immerger totalement, à déconnecter notre cerveau de notre réalité première pour l’immerger dans d’autres réalités créées par l’Homme.
Lui faire ressentir un corps Virtuel, lui donner l’impression d’une immersion totale coupée du réel, remplacer nos cinq sens, lui faire oublier le temps qui passe à l’image de l’Inception, amplifier notre champs de vision, difficile encore d’estimer jusqu’où le cerveau humain pourra aller, ce qu’il sera capable d’assimiler et d’encaisser, de surcroît à une vitesse vertigineuse à l’échelle de l’évolution biologique. Les risques peuvent être énormes et les processus de validation prendront du temps, sans compter les nécessaires obstacles philosophiques, éthiques, politiques, techniques, … qui jalonneront le développement de ces interfaces neuronales de virtualisation.
« N’importe quel aspect de l’apprentissage ou tout autre manifestation de l’intelligence peut en principe être décrit avec une précision telle que l’on pourra assembler une machine permettant de la modéliser » (1er colloque sur l’IA en 1956). L’idée d’un humain machine émergeait déjà depuis.
La dématérialisation de notre cerveau a déjà inconsciemment débuté. Comme le rappelle Raymond Kurzweil, futurologue américain, nous déléguons déjà une partie de nos fonctions cognitives à des machines telles que nos smartphones qui stockent pour nous numéros, formules, mémos, histoire personnelle. Ce dernier annonce que nous serons très bientôt capables d’externaliser une partie de nos fonctions cognitives sur des interfaces numériques. Notre mémoire voire même notre personnalité. Il ajoute que l’ensemble de nos expériences avec un rapport au réel. Tout ce qui encombre notre cerveau, les numéros, les formules, l’histoire, la mémoire personnelle seront contenus dans des interfaces virtuelles. Le cerveau libéré de toutes ces informations peu utiles va être en mesure de recentrer sa valeur ajoutée sur des créations et opérations mentales qui pourraient décuplées encore notre révolution technologique, scientifique, etc.
« L’interface homme machine n’existera bientôt plus, c’est la machine qui intègre nos corps et nos esprits »[iii].
L’humanité se dirige vers une conscience universelle.
L’émulation du cerveau entier appelée « Mind uploading » en anglais, est souvent appelée de manière informelle « chargement », « téléchargement », « transfert » d’esprit, incluant la mémoire à long terme et le soi. Elle est certes régulièrement traitée dans nombre d’œuvres de science-fiction mais désormais également dans des études scientifiques de plus en plus nombreuses[iv]. L’idée de base est de prendre un cerveau en particulier, de scanner sa structure en détail et de construire un modèle de logiciel qui est si fidèle à l’original que, lorsqu’il est exécuté sur le matériel approprié, il se comportera essentiellement de la même manière que le cerveau d’origine. L’ordinateur pourrait alors exécuter un modèle de simulation du traitement de l’information du cerveau, de telle sorte que celui-ci réagisse essentiellement de la même manière que le cerveau d’origine. L’ordinateur serait alors capable d’expérimenter la conscience[v].
La mise en ligne de l’esprit peut alors potentiellement être réalisée par l’une des deux méthodes suivantes : copie avec transfert ou remplacement progressif des neurones. Dans le cas de la première méthode, le téléchargement des idées serait réalisé en scannant et en cartographiant les principales caractéristiques d’un cerveau biologique, puis en copiant, transférant et stockant cet état d’informations dans un système informatique ou un autre appareil informatique. Le cerveau biologique pourrait ne pas survivre au processus de copie. L’esprit simulé pourrait se trouver dans une réalité virtuelle ou dans un monde simulé, soutenu par un modèle de simulation corporelle anatomique en 3D temps-réel. Alternativement, l’esprit simulé pourrait résider dans un ordinateur qui est à l’intérieur ou connecté à un robot non nécessairement humanoïde ou un corps biologique.
Parmi certains futuristes et au sein du mouvement transhumaniste, le téléversement d’esprit est traité comme une technologie de prolongation de vie. Certains pensent que le téléchargement d’esprit est la meilleure option actuelle de l’humanité pour préserver l’identité de l’espèce, par opposition à la cryptographie. Un autre objectif du téléchargement d’esprit est de fournir une sauvegarde permanente à notre « fichier d’esprit », de permettre des voyages dans l’espace interstellaire, et un moyen pour la culture humaine de survivre à une catastrophe mondiale en faisant une copie fonctionnelle d’une société humaine dans un cerveau virtuel.
L’émulation du cerveau entier est considérée par certains futuristes comme un « point de terminaison logique » des domaines de la neuroscience computationnelle et de la neuroinformatique, tous deux axés sur la simulation du cerveau à des fins de recherche médicale. Il est discuté dans les publications de recherche sur l’intelligence artificielle en tant qu’approche de l’IA forte. Une intelligence informatique, telle qu’un téléchargement, pourrait penser beaucoup plus vite qu’un humain biologique, même si elle n’était pas plus intelligente. Selon les spécialistes de l’avenir, une société de téléversements à grande échelle pourrait donner lieu à une singularité technologique, ce qui signifie une diminution constante du temps de développement exponentiel de la technologie. Le téléchargement d’esprit est une caractéristique conceptuelle essentielle de nombreux films et romans de science-fiction.
Des travaux de recherche généraux et substantiels dans des domaines connexes sont en cours dans les domaines de la cartographie et de la simulation du cerveau des animaux, du développement de superordinateurs plus rapides, de la réalité virtuelle, des interfaces cerveau-ordinateur, de la connectomique et de l’extraction d’informations à partir de cerveaux fonctionnant de manière dynamique. [6] Selon les supporters, de nombreux outils et idées nécessaires à la réalisation de mind upload existent déjà ou sont en cours de développement ; Cependant, ils admettront que d’autres sont, à ce jour, très spéculatifs, mais restent dans le domaine des possibilités techniques. Le neuroscientifique Randal Koene a formé une organisation à but non lucratif appelée Carbon Copies (Copies du carbone) pour promouvoir la recherche sur le téléchargement de fichiers de données.
[i] L’intelligence Artificielle en images – Henry Brighton et Howard Selina – edp sciences
[iii] Hervé Juvin – conférence au Parlement de Bruxelles – 31 janvier 2017
[iv] Whole Brain Emulation, A Roadmap – (2008) Technical Report #2008‐3 – Anders Sandberg & Nick Bostrom – Future of Humanity Institute – Faculty of Philosophy & James Martin 21st Century School – Oxford University
[v] A framework for approaches to transfer of a mind’s substrate – Sim Bamford