Virtuel as a Service

par | 2 Fév, 2021 | realite virtualisee | 0 commentaires

Le Jeux vidéo est encore au stade de produit de consommation, il pourrait devenir générateurs d’univers parallèles (metaverse), un catalogue de mondes à la demande. L’industrie du Jeux vidéo et du divertissement est pour le moment la mieux placée dans la course à l’institution qui créera nos futurs mondes de réalités alternatives, les fameux metaverses. Ce secteur est l’un des plus porteurs en terme de perspectives d’emplois, il développe les technologies de virtualisation les plus avancées, il réunit toutes les formes d’arts et remporte l’adhésion et l’écoute de 95% des nouvelles générations. C’est une industrie désormais mature qui saura franchir le pas du seul divertissement pour créer des mondes virtuels réalistes. Le jeux vidéo commence déjà depuis plus de 10 ans à proposer des mondes persistants et évolutifs, tels les MMORPG associés à de nouveau modèles de financement tels que le game as a service. Mais le jeux vidéo ne propose encore que des mondes de divertissement, pas encore des mondes dans lesquels il est ou sera possible d’y fonder sa vie personnelle, sociale et ou professionnelle. A terme, des sociétés comme telles que les GAFA, à cheval entre le cloud, l’OS et le gaming pourraient détenir la clé de la création de mondes adaptés à la virtualisation de notre espèce.

Depuis que Ralph Baer a détourné un radar militaire pour en faire le premier jeu vidéo de l’histoire, l’être humain est devenu un concepteur de mondes virtuels et ce média est devenu le bien culturel le plus rentable de l’histoire, désormais loin devant le cinéma d’Hollywood. Les sociétés de développement de jeux vidéo sont désormais devenues des méga corporations, des hyper-industries générant des progrès technologiques considérables qui innervent tous les autres secteurs d’activités pour un jour peut-être parvenir à les gamifier.
Ces fabriques de mondes virtuels sont désormais bien plus rentables que le cinéma, leurs mondes s’inscrivent partout, dans nos écrans, dans nos bibliothèques sous forme de figurines, de livres, et même de portages au cinéma. Ces mondes virtuels fictifs sont à la portée du plus grand nombre et partout dans le monde, tous les autres médias en deviennent des sources d’inspiration (portages de livres tels que The Witcher ou Metro 2033) mais aussi des véhicules (Warcraft au cinéma, etc.). Les œuvres, quelles que soient leur terreau de départ sont désormais portées sur une multiplicité de formats apportant des expériences parfois contradictoires parfois complémentaires. Les multiples médias deviennent un seul grand média, un immense monde de contenu et d’univers à arpenter, découvrir, lire, écouter, regarder. Avec désormais la capacité de le faire ensemble, à plusieurs. Le jeu vidéo est devenu un média total, graphique, musical, scénographique, etc. qui rassemble toutes les formes d’art, il est devenu le média le plus apte à créer des mondes virtuels. Mais tant que nous l’appellerons jeux vidéo, les gens ne continueront à le voir que sous son versant purement ludique et récréatif dédié à des publics qualifiés de peu matures. Le mot Jeu vidéo est de moins en moins adapté et donne une image réductrice de son véritable potentiel et des expériences qu’il propose.

Les différences entre les types d’expériences ludiques, c’est à dire les médias de divertissement culturel (cinématographiques, vidéo ludiques, livres, musicaux) tendent progressivement à s’estomper. Les livres deviennent numériques et audio, certains sont transposés en films et en jeux pour en faciliter et étendre les accès, les jeux vidéo font penser à des films interactifs, les films inversement deviennent interactifs (exemple de bundersnatch sur Netflix). Les auteurs, écrivains, cinéastes, compositeurs, etc. ne créent plus dans l’optique d’un seul format média, livre ou film ou jeu ou disque, non désormais ils créent et composent avec l’idée d’une transposition bien plus large de leurs œuvres sur une multiplicité de médias. Auteurs et compositeurs deviennent des créateurs de “mondes imaginaires” ayant le potentiel d’être transposés sur une multiplicité de supports virtuels, accessibles instantanément partout dans le monde et auprès d’un public bien plus vaste.

Les technologies numériques donnent ainsi le don d’ubiquité à nos médias qui nous suivent partout. De même les moyens d’accès aux médias tendent eux-aussi à s’uniformiser via des AppStores. Films, jeux, livres, musiques s’achètent et se consomment via des stores en lignes uniques, des méta portails de contenus. Mais cette multiplicité de canaux de distribution, cette multiplicité de contenus du fait de la facilité sans cesse grandissante pour chacun d’entre nous de créer des histoires univers, génère de tels volumes qu’il devient de plus en plus difficile pour les créateurs de sortir du lot et pour les publics de plus en plus difficile d’y consacrer du temps ou de s’y plonger. Notre temps libre devient un bien de consommation, notre concentration quant à elle ne cesse de décroître.

L’autre phénomène est que les différences d’interfaces de lecture et d’immersion dans les médias s’estompent entre les médias de divertissement, tous se portent vers le virtuel. Les livres numériques, musique dans le cloud, jeux vidéo, expériences virtuelles ou augmentées ne finiront-elles pas par créer un gigantesque tout, une seule expérience virtuelle, autant de mondes virtuels persistants ? Possiblement à terme des vies virtuelles inventées, possiblement imbriquées. Pour l’instant le média jeu vidéo s’est principalement contenté de nous donner les capacités de faire ce que nous n’avons pas le droit ou ne pouvons pas faire dans le monde réel. Ce média a créé des parcs d’attraction virtuels amplis d’artifices de gameplay et de contenus, accentuant implicitement le fait que la réalité n’a rien de drôle à jouer.
Le joueur actuel n’est pas encore un habitant Virtuel, on ne lui en donne pas les moyens puisqu’on lui donne à parcourir des mondes virtuels exclusivement ludiques, des passe-temps numériques presque tournés en dérision qu’il ne peut prendre au sérieux et dont, par conséquence, il se lasse vite.
Le Jeu vidéo ne s’est donc encore attelé à créer une autre ou des autres réalités suffisamment intéressantes pour y rester et s’y établir en tant qu’habitants, pas seulement pour y réaliser l’interdit ou l’impossible où se déconnecter provisoirement du réel, mais pour offrir une autre plateforme de construction de nos vies. Le jeu vidéo n’ose pas encore franchir le pas du tout Virtuel parce qu’il a été catalogué à juste titre comme un média de divertissement, le décrédibilisant au passage en tant que principal moteur potentiel de virtualisation des hommes.

De plus en plus de Jeux vidéo proposent de continuer à parcourir le monde après la fin de leur arc narratif, de laisser ainsi le joueur poursuivre une forme de vie virtuelle dans le monde créé à l’occasion de l’aventure. Consciemment ou pas, les studios de développement de ces jeux sans fin font passer leurs joueurs du statut d’acteurs à celui de visiteurs. Enfin, d’autres, tels que les MMORPG ou Second Life, vont encore plus loin puisqu’en complément d’un “jeu” sans fin, ils proposent l’acquisition d’un terrain ou d’une maison virtuelle. Ces derniers font alors passer leurs joueurs du statut de visiteurs à celui d’habitant. Habiter un monde c’est donner l’impression d’une appartenance, d’une liaison immuable entre l’habitant et son environnement. Il faudra donc à l’avenir trouver un autre nom aux joueurs qui désormais habitent ces mondes virtuels sans véritablement y jouer mais qui vont souvent s’y réfugier pour vivre une vie / expérience parallèle loin du réel. Le nom de joueur persiste depuis les premiers âges du média à l’époque où le jeu vidéo ne consistait qu’à une expérience courte et instance, par exemple un combat, une course automobile, mais ne devraient-on pas désormais parler de visiteurs / acteur virtuel / habitant virtuel 

World of Warcraft, univers fictionnel persistant depuis 15 ans qui évolue sans cesse techniquement et en termes de contenu, est devenu un jeu monde. Ce type de « jeu » type Second Life se caractérise par trois éléments : l’utilisation d’un avatar comme représentation de soi, la constitution d’un réseau social « proche » mais composé d’individus jamais rencontrés, la plupart du temps, dans la vie réelle, et l’évolution dans un monde créé graphiquement qui continue d’exister lorsque le joueur se déconnecte. Ces mondes Virtuels peuvent donc avoir une temporalité indépendante de l’humain qui s’y connecte, il rejoint en cela la définition première de notre réalité partagée, celle de persistance. Ces mondes virtuels dits persistants disposent de leur propre rythme auquel doit désormais se conformer l’ « utilisateur », le Virtuel ne se conforme plus nécessairement aux désidératas de l’individu, il poursuit son existence sans vous si vous n’y êtes pas connecté. Et si vous n’y revenez pas régulièrement alors votre vie virtuelle n’aura pas été mise en pause, elle se sera poursuivie sans vous ou sous le contrôle d’une IA. Tout comme les joueurs des jeux en ligne retrouvent leur avatar obsolète. Dans un monde où le Virtuel serait devenu la norme, il en sera de même, ceux qui s’y connecteront le moins seront dépassés par les autres, ils risqueraient d’y perdre leur statut social en ligne, voire même ne plus être aptes à arpenter ces mondes virtuels car ils auraient manqué plusieurs updates et ne disposeraient plus d’un avatar suffisamment puissant. Tout comme le réel semble persister après notre mort, ce qu’aucun d’entre nous ne pourra expérimenter individuellement.

Ces mondes virtuels persistants, comme les jeux MMORPG, ont fait naître de nouveaux standards et modèles économiques à l’image du « Game as a service ». Ces derniers permettent de rejoindre gratuitement ou via abonnement l’univers et le lore proposés pour in fine proposer de nombreuses options d’améliorations payantes tout au long de l’exploration et de la montée de niveau des avatars virtuels. Il y a ainsi fort à parier que les mondes virtuels qui accueilleraient des individus ayant fait le choix de se virtualiser en partie ou totalement pourraient proposer ce même type de modèle économique à l’avenir accentuant possiblement les différences entre catégories sociales, entre ceux pouvant accéder ou acquérir certains contenus, capacités, pouvoirs et les autres.

Les mondes virtuels, parce qu’ils continueront à être créés par des entreprises humaines seront-ils condamnés à ne rester que des produits de consommation de masse, possiblement payants et donc potentiellement discriminants, à l’inverse de ce que notre monde réel propose ? Un monde virtuel unique et libre à l’image de notre réalité est difficile à imaginer tant les corporations, entreprises et pays auront tendance à en limiter les accès par des moyens financiers, politiques voir pire raciaux et donc dans tous les cas discriminants.  Penser les mondes virtuels nécessairement sous forme de produits de consommation reviendrait au même que rendre payant l’air que nous respirons dans notre réalité…

Share This