Solitude cosmique

par | 27 Mar, 2020 | realite data | 0 commentaires

Naturellement ambitieux, l’Homme a développé ses capacités intellectuelles et technologiques pour croître toujours plus vite et tenter de résoudre les mystères de son Univers. Désormais en capacité de toujours mieux percevoir un monde et des dimensions sans cesse plus vastes autour de lui, l’Homme se sent néanmoins à contrario chaque jour plus petit, plus insignifiant dans cette immensité.

« L’Homme si supérieur semble bel et bien perdu dans un océan cosmique en perpétuel mouvement »[i].

La matérialisation de ce ressenti s’est notamment produit lorsqu’en 1990 la sonde Voyager 1, alors à une distance de 6,4 milliards de kilomètres de la terre, s’est retournée vers la terre, comme un ultime au revoir à son port de départ, pour prendre en photo ses créateurs humains restés sur Terre. Ce cliché désormais célèbre « pale blue dot » montre notre planète à l’échelle d’un minuscule point isolé, perdu dans l’immensité du vide intersidéral.

Ainsi aujourd’hui, et malgré les immenses progrès humains dans tous les domaines, l’humanité reste désespérément accrochée à cette minuscule sphère bleue suspendue dans le vide spatial. Et comme si cela ne suffisait pas, nos progrès consument davantage notre planète qu’ils ne l’étendent ou la renforcent, ce qui amplifie encore cette sensation partagée de fragilité, d’urgence et d’isolement.

A notre échelle, depuis la croûte terrestre, chaque point du ciel d’environ la taille d’une tête d’épingle contient des millions de galaxies contenant elles-mêmes des milliards d’étoiles.
Ainsi, en regardant le ciel, nous ne contemplons pas du vide mais bien une infinité de mondes et de vies potentielles. Un univers qui, si on le regarde de manière totalement dézoomée à l’échelle de millions d’années-lumière forme une constellation d’innombrables systèmes abritant très certainement des quantités astronomiques de vies qui ne pourront jamais se croiser ni même s’observer les unes les autres.
C’est cet univers de vide surpeuplé qui doit nous faire prendre conscience du caractère extrêmement précieux de la vie sur Terre, qu’elle soit animale, végétale ou humaine. C’est aussi ce vide enveloppant qui exacerbe toujours davantage notre conscience que notre planète est le seul navire habitable à des milliards de kilomètres de distance et que ce navire et les écosystèmes qu’il abrite sont déjà plus qu’en danger, ils sont en voie d’extinction. Les chances de rejoindre un jour ne serait-ce que le système le plus proche de nous est impensable. En effet, à la vitesse déjà phénoménale de la sonde Voyager 1 de 17km/s, il nous faudrait plus de 80000 ans pour rejoindre alpha du centaure situé à seulement 4,2 années lumières de nous.
Si L’Homme doit poursuivre son expansion démographique à la surface de sa planète, il doit envisager de devoir le faire autrement à court terme.

« Pour la première fois, de son histoire, l’enjeu pour l’humanité va être de se survivre à elle-même. Non plus à des prédateurs, à la faim ou aux maladies, mais à elle-même »[ii].

Nous avons pris conscience que notre réalité et notre monde, étaient finalement très étroits, très longs à étendre et qu’ils n’étaient pas éternels, voir même qu’ils étaient en sursis.

« Se rendre compte de la finitude de notre monde, de sa place dans un espace tellement gigantesque qu’il semble sans fin est, et sera toujours, une grande leçon d’humilité »[iii].

Nous avons également pris conscience que nos vies à chacun de nous était un battement de cils de l’univers et que finalement il est très peu certain que quoi que ce soit n’existe après la mort. Cette dernière représentant un obstacle majeur à la vie, nous mettons tout en œuvre pour ne pas ressentir l’écoulement du temps. Ainsi, pour la plupart, nous nous accrochons aux rythmes quotidiens qui se répètent sempiternellement et préférons de plus en plus nous réfugier dans des univers virtuels. Parmi la multitude de nos semblables, nous nous sommes également rendu compte de n’être finalement que simple individu parmi des milliards avec une valeur ajoutée inversement proportionnelle à l’augmentation du nombre d’humains. De telles prises de conscience si rapide à l’échelle de l’évolution d’une fragile espèce biologique telle que la nôtre a de quoi exacerber certaines peurs du réel, de déclencher un état d’urgence à vouloir s’en émanciper ou à progresser encore plus rapidement, autrement, ailleurs.

Les technologies que nous ne cessons jamais de faire progresser nous consument en même temps, les machines remplacent nos bras, nos smartphones notre mémoire, nos GPS notre sens de l’orientation, les automates nos tâches quotidiennes, les intelligences artificielles progressivement nos cerveaux. Au-delà de la condition de notre planète essoufflée par notre progrès, c’est notre condition biologique d’êtres humains qui se fragilise également à nos yeux. Enfermés dans un corps aux capacités et à la durée de vie limité, accroché sur une seule minuscule planète magnifique aux ressources déjà épuisées, l’Homme sait que le temps lui est compté. Rattrapé par la dure réalité terrestre et mis en compétition avec ses propres technologies, son ambition naturelle le poussera très certainement à vouloir s’émanciper de toutes les contraintes et limites intrinsèques à son monde réel et à sa condition biologique.

D’Homo Data voulant atteindre rapidement le stade Homo Deus, il pourrait vouloir s’expandre et faire progresser ses pouvoirs de façon encore plus rapide. Pour se faire, il pourrait faire le choix de dématérialiser complètement son existence réelle, de se digitaliser pour gommer les contraintes de son monde physique. Il pourrait vouloir créer son voir ses propres mondes sans limites physiques, biologiques ou temporelles.

Toute comme la donnée qu’il manipule au quotidien pour la transformer de matière réelle à matière virtuelle, il pourrait appliquer ce pouvoir à lui-même pour rejoindre sa vraie nature, celle d’Homo Digital.

« C’est peut-être ainsi que naît toute la beauté, de se savoir fragile. Perdue d’avance, la course va se poursuivre sans frein dans les étoiles. »[iv] et/ou dans des réalités digitales parallèles.

[i] Extraits de la vidéo France 5, « Vie unique, une espèce à part »

[ii] Le Bug Humain – Sébastien Bohler, docteur en neurosciences et rédacteur en chef du magazine Cerveau & Psycho. Edition Robert Laffont

[iii] L’Univers à portée de main – Christophe Galfard – Flammarion

[iv] Poème de Stéphanie Bodet

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