Un réel limité vs un digital sans limites ?

par | 14 Sep, 2020 | realite artificielle | 0 commentaires

Nos (r)évolutions dans tous les domaines, médical, scientifique, technologique, architectural, sociétal, etc. ont certes étendu nos constructions à perte de vue, généré des milliards de données sur les réseaux et nous feront poser le pied sur mars, mais elles ont également crées autant de besoins qui désormais nous définissent et nous envahissent, engendrant par la même une sensation de compression autour de nous. Plus nous progressons et plus nous complexifions notre monde de règles et de normes qui finissent par créer, en sus d’un carcan spatial, un carcan mental. L’Homme semble avoir limité lui-même sa propre réalité.

Le Virtuel, quant à lui, est notre création, nous pouvons de plus en plus facilement lui donner vie, sens, qualité, lui donner des dimensions, un début et une fin, le dupliquer, se permettre de s’y tromper et de recommencer. Le Virtuel semble toujours plus confortable pour notre cerveau, plus facile à appréhender, à modeler selon nos besoins et envies insatiables. Notre cerveau n’a aucun mal à s’y plonger à contrario de notre corps physique.

L’Humain augmenté, le transhumain, le post humain, tous ces courants de pensées partent d’un même constat, celui d’une espèce biologique dont le cerveau croît plus vite que les capacités physiques de son corps et de son environnement. L’augmentation exponentielle de notre intelligence et de nos moyens de l’augmenter par la technologie finissent par enfermer notre cerveau dans un corps et un environnement qui ne sont plus adaptés ni aptes à subvenir à nos besoins et envies de croissance de notre conscience. Déjà l’Homme commence à s’ « augmenter » pour assouvir les besoins d’expansion de son cerveau. Implants cérébraux, exosquelettes, tous les moyens sont bons pour tenter de s’extraire à la gravité, au temps qui passe, pour étendre les capacités très limitées de nos corps physiques.

 Plus tôt que prévu donc, devant la concurrence des IA et face à un environnement déjà essoufflé par seulement un siècle de progrès humain, les augmentations de nos corps et de notre environnement pourraient ne pas nous suffire. Il se pourrait même que nous ne passions pas par le stade cyborg ou Homme Augmenté et que nous devions passer à la vitesse supérieure plus tôt que prévu, que nous devions rejoindre un état digital, un corps et des environnements dématérialisés, façonnables à l’envie donc sans limites.

Nous prenons l’avion pour passer deux heures de réunion dans un pays limitrophe sous prétexte qu’il est impératif de se rencontrer physiquement pour se comprendre. Assis dans un taxi nous ne croisons que des conducteurs assis au volant de véhicules aux gabarits de plus en plus imposants, etc. nos bilans carbone journaliers ne cessent de s’alourdir. Voyager toujours plus loin, livrer toujours plus vite, se déplacer à des fréquences toujours plus importantes, font désormais parti des principaux besoins de l’Homme mais sont aussi les plus énergivores pour notre planète.  Cette boulimie mondialisée de mouvement est devenue un luxe au regard de l’état de nos ressources terrestres et un besoin ancré depuis si longtemps en nous que nous aurons d’autant plus de mal à nous en séparer. Space X, Hyperloop, Blue Origin, Virgin Galatics, Tesla, etc. vont tous expandre nos capacités de déambulation sur la terre et en dehors à un niveau encore jamais atteint, ils vont nous transporter à des vitesses supersoniques, nous permettre de dormir à Tokyo et de prendre le déjeuner à Paris, ils vont nous emmener quotidiennement sur la lune et nous permettre de nous installer sur mars. Au-delà du risque réel de banalisation de telles pratiques qui engendrera toujours plus de besoins de mobilité, le déplacement humain est devenu le premier poste de coût carbone de la terre. Alors peut-être qu’un jour nous serons si nombreux, nos routes si saturées, notre environnement bâti si dense, nos ressources si réduites, que nous n’aurons d’autre choix que de créer des espaces de virtualisation, des oasis d’espaces et des moyens virtuels de s’y déplacer sans surcoût. Peut-être n’aurons-nous plus le luxe de nous déplacer toujours plus vite et si souvent que pour nous retrouver, travailler et se divertir nous devrons quasi systématiquement le faire virtuellement.

Dans sa volonté de posséder les pouvoirs d’un Dieu, dans sa course à l’expansion, L’Homme a fini par prendre possession de l’ensemble des territoires, des matières et prit l’ascendant sur la totalité des espèces animales au point désormais de considérer que la Terre lui appartient. Après avoir tenté de la soumettre, il pense maintenant être en devoir de la changer mais perd tout contact avec elle par la même occasion. Notre rapport à la nature a changé, nous la voyons comme le maillon faible de notre écosystème, comme un fardeau peu enclin à supporter nos progrès et qui de surcroît désormais freine notre expansion par sa fragilité. Toute avancée technologique doit désormais composer avec ce « poids » biologique et organique au risque de ne plus pouvoir bientôt habiter cette Terre et d’engager notre espèce vers son extinction. Nous en sommes arrivés à dénigrer notre mère nature et nous ne la regardons désormais quasiment plus si ce n’est au travers d’écrans et d’interfaces numériques. D’êtres attachés à un territoire et sachant composer avec la nature pour la préserver, nous nous sommes désormais détachés d’elle pour finalement ne plus savoir comment co-exister avec elle.
La nature est actuellement en de mauvaises mains car même le courant de pensée le plus répandue, à savoir le capitalisme, la considère comme étant un élément nous détournant de nos envies de progrès et de nos besoins consuméristes, la nature étant par définition gratuite.
En France, Michel Serres et d’autres personnalités publiques incitaient déjà les gouvernements à signer un « contrat naturel » avec notre Terre qui ferait de la nature non plus un espace à envahir mais un sujet de droit et, chez l’Homme, réactiverait la valeur de la retenue, de la pudeur, de la modération, d’un plus grand sens de la justice dans la répartition des ressources.

Mais malgré une prise de conscience désormais quasiment généralisée, notre évolution nous met désormais maintenant nous-mêmes en danger d’extinction. Nous en sommes arrivés au point d’évoluer à contrario du principe essentiel de la vie à savoir que ce qui est vivant évite de se dégrader en un état de désordre et d’équilibre.

L’Homme partage les mêmes composants informationnels élémentaires que son univers, sa planète et les autres formes de vie qui la peuplent. L’Homme étant désormais l’espèce la plus puissante de sa planète, il a donc des devoirs envers cette dernière et les autres espèces, à minima celui de les préserver. Mais notre évolution se fait essentiellement au détriment de la Terre et de ses écosystèmes vivants que nous ne faisons que faire régresser ou exterminer. Notre soif d’expansion et de croissance économique est exponentielle, tout comme l’est notre impact sur notre écosystème. Nous aurons bientôt asséché l’ensemble des ressources de notre petite planète, au point que désormais nous commençons à nous y sentir à l’étroit.
Le point de non-retour étant déjà derrière nous, certains envisagent déjà de coloniser d’autres planètes. D’autres planètes que n’aurons de cesse de surexploiter pour répondre à nos besoins et exigences de performance et de confort sans cesse grandissants.
Le cerveau Humain est ainsi fait, il ne peut s’empêcher de prendre possession de son environnement, de vouloir le maîtriser dans ses moindres aspects. Il utilisera toujours tous les moyens et ressources à sa disposition pour connaître le plaisir d’alimenter son corps biologique, de croître sur ses semblables et son environnement.
« Nous sommes à la fois très intelligents mais nos motivations profondes ne sont pas forcément si intelligentes que ça. Nous sommes conscients que nous détruisons notre environnement mais nous n’agissons pratiquement pas, nous ne changeons pas fondamentalement nos comportements. Cette incohérence est elle-aussi liée à la zone profonde de notre cerveau, notre stratium. « [i]. Ce dernier, assoiffé de plaisirs archaïques, génère, comme nous l’avons vu de nombreuses addictions et nous pousse à la surconsommation exponentielle de ressources.
Notre terre n’est plus en mesure de soutenir l’expansion de nos besoins, elle devient bien trop limitée pour nous, nous vivons depuis plusieurs décennies à crédit, une Terre et demie par an, puis d’ici moins de dix ans, deux Terres. L’histoire de la Terre se souviendra de nous comme la première espèce à avoir été capable de générer elle-même une extinction de masse, la sixième.

Et à force de détruire notre environnement, nous restreignons par la même notre espace vital et notre réalité terrestre ne cesse alors de nous paraître toujours plus limitée. Nos capacités d’expansion cognitives et spatiales commencent à rencontrer l’obstacle de notre monde réel nous incitent toujours davantage à se servir du virtuel pour s’en émanciper.

Le réchauffement climatique pourrait nous amener dans un avenir malheureusement pas si lointain à vivre de manière bien plus sédentaire voir troglodytique. Les 50 à 60 degrés à l’ombre projetés en Europe centrale aux alentours de 2050 nous obligeront à vivre différemment.
Réalité virtuelle et projections visuelles de haute qualité pourraient s’avérer un être un palliatif bien utile pour s’évader d’un quotidien devenu anxiogène. Nos maisons et appartements disposeront de fenêtres potentiellement ouvertes chaque jour sur de nouveaux paysages, nous pourrions nous téléporter chaque week-end dans de nouvelles régions ou univers.
Dans cet avenir comprimé et saturé où nos corps biologiques seraient contraints à la sédentarité la plus extrême, le Virtuel constituerait un puisant palliatif, facile à déployer à l’échelle de l’humanité. Ainsi le Virtuel, au même titre que notre imaginaire, comporte une part de magie par sa capacité à nous transposer dans des espaces temps infinis, au centre de notre galaxie ou sur le sable blanc d’une île déserte, au temps des premiers hommes, pendant la révolution française ou dans le New York futuriste de 2150, aux côtés de Léonard lorsqu’il peignait sa Joconde, au sommet de l’Everest pour acheter la dernière paire de basket Nike ou consommer un Nespresso depuis l’ISS, jusque dans le lit d’une somptueuse créature pour assouvir nos fantasmes.

« Comment faire face à la surpopulation mondiale et au manque de ressources si la quasi-totalité des humains vivait plus de 100 ans ? La meilleure solution serait de transférer nos consciences vers un ordinateur. Ainsi, plus besoin d’eau et de nourriture, puisque seule une infime source d’énergie serait nécessaire pour nous maintenir en vie »[ii].

L’Homme comprend ainsi toujours plus profondément son univers réel, ses pouvoirs mais aussi ses limites, l’incitant à créer d’autres univers dans lesquels les contraintes seraient moins fortes et les potentialités décuplées.

[i] Sébastien Bohler, Docteur en Neurosciences – vidéo Youtube « Pourquoi notre cerveau nous pousserait à détruire la planète« , chaîne Brut, 27 février 2019

[ii] Article : « Voici à quoi ressemblera notre monde dans 1 000 ans » – Daily Geek Show

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