
Realite relative
Au quotidien le réel nous entoure, il impacte nos cinq sens et nous interagissons avec lui à chaque instant. Il est tout ce qui structure le monde à nos yeux, nos semblables et l’ensemble des êtres vivants, la matière qu’on touche de la main, les rayonnements infrarouges que nous captons avec nos radios, la lumière qui ampli nos rétines ou réchauffe notre peau, la gravité qui nous maintien au sol et restreint nos déplacements.
On l’appelle « réalité matérielle » ou « réalité externe ».
La réalité c’est aussi et surtout, pour chacun d’entre nous, des émotions et sensations ressenties au plus profond de nous qui nous impactent directement ou indirectement. Des rêves, des fantasmes inconscients, des pulsions, des peurs, des tristesses et joies personnelles, l’amour, la haine, le bonheur, nos conflits intérieurs désir/défense, plaisir/déplaisir, etc. Toutes ces sensations qui construisent aussi notre réalité quotidienne, une réalité en chacun de nous, qualifiée d’ « interne » ou de « réalité psychique »[i].
Notre réalité humaine est en fait l’addition de réalités externes et internes, palpables et ressenties, unique et partagée. Ensemble, les Hommes se distinguent des autres espèces par leur capacité à partager une « psyché de groupe », c’est-à-dire des communautés d’idéaux, de pensées ou de fantasmes communs qui forment une « réalité partagée »[ii] entre groupes d’individus, familles ou institutions, tels que peuvent l’être les croyants d’une même religion, les habitants d’un même pays ou encore les membres d’un même parti politique.
La réalité c’est aussi énormément de choses impalpables ou invisibles, les composants de l’infiniment grand et de l’infiniment petit tels que les trous noirs, la matière noire, les photons, les atomes, etc. qui, lorsque notre intelligence, notre science et nos technologies les détectent, viennent élargir le champ de notre réalité, repousser le seuil de notre « réalité observable », amplifier notre conscience de l’univers.
Actuellement, au maximum de notre capacité technologique et de conscience, notre univers observable s’étend, dans l’infiniment grand, sur un diamètre de 90.000.000 d’années lumières, c’est-à-dire sur un volume d’environ 100 milliards de galaxies contenant chacune entre 100 et 1000 milliards d’étoiles. Du côté de l’infiniment petit, notre seuil observable s’arrête pour le moment aux particules élémentaires, c’est-à-dire à 10—19 m et nous anticipons grâce à Stephen Hawking la notion de Particules virtuelles en-dessous de la réalité observable. Des particules que notre œil ne peut bien entendu pas voir mais que même la lumière ne détecte pas, ce qui en fait de pures suppositions scientifiques. Chaque découverte élargit notre champ de conscience mais dévoile aussi toujours plus de parts d’infinies et d’inconnues. 500 ans avant Jésus Christ, Empédocle avait déjà mis le doigt sur cette vérité universelle : « la perception humaine est effroyablement limitée, nous pensons voir un tout alors que nous ne voyons qu’une fraction »[iii].
L’Homme se caractérise ainsi par cette capacité à considérer comme réel des choses qu’il n’a jamais vus ou seulement appréhendé par déduction, calcul ou émotion, c’est la toute-puissance de notre intelligence, de notre imaginaire et de notre conscience qui ne donnent aucune limite à l’étendue de la réalité que nous repoussons tous les jours ensemble. Notre réalité est extensible, notre conscience y accepte sans cesse de nouveaux composants, de nouvelles théories. Mais si nous sommes déjà aptes à intégrer de nouveaux paramètres à notre réalité, celle-ci est-elle si immuable qu’elle en a l’air ? Si cette dernière est extensible, elle pourrait très bien aussi être imbriquée dans d’autres ou bien être multiple, voire juxtaposée ou croisée à autre chose, être dynamique ou encore éphémère. Ce qui est certain c’est que notre intelligence et notre conscience vont continuer de croitre pour repousser notre seuil de réalité observable et acceptable.
La Réalité pourrait elle-même ne pas être en opposition systématique avec le Virtuel. Réalités imbriquées et Virtuels multiples pourraient coexister. Ces perspectives théoriques amènent notre conscience à s’ouvrir à des conceptions de vies et de réalités sans frontières, avec des répercussions sur le regard éthique que nous posons sur nous-mêmes et l’univers qui nous abrite et qui nous a construit. Une multiplicité de positions philosophiques de la réalité coexistent, que les philosophes tentent de classifier depuis des siècles en théories plus ou moins distinctes et imbriquées. La réalité n’est pas une science exacte elle nous questionne.
De Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, théoricien du réalisme modéré à Karl Popper au XXe siècle, de véritables courants théoriques sont apparus. Réalismes métaphysiques, scientifiques ou éthiques, à l’antiréalisme en passant par l’irréalisme ou l’hyper réalité. Le réalisme philosophique défini ainsi une conception selon laquelle il existe un monde indépendant du sujet qui en prend connaissance. Il s’oppose à l’antiréalisme et à l’irréalisme. Le réalisme scientifique, quant à lui, est la position métaphysique selon laquelle le monde décrit par la science est le monde « réel » existant indépendamment de nos représentations. Le réalisme naïf, de son côté, est la conception commune et spontanée que nous avons de la réalité de ce que nous percevons. Spontanément, nous pensons qu’il existe un « monde extérieur » et que nous percevons ce monde extérieur. Notre réalité est relative, et nous, humains nous éveillons sans cesse à de nouvelles forme de réalités.
L’arrivée du virtuel induit de nouvelles formes de perception du réel, de nouvelles imbrications déjà traduites par les réalités augmentées, mixtes ou virtuelles. La réalité augmentée s’inscrit dans le réel tout en y affichant des informations virtuelles et la réalité mixte… La réalité virtuelle déconnecte du réel pour nous immerger dans d’autres mondes. La réalité virtualisée quant à elle pourrait proposer une copie de notre univers réel actuel, conforme en tous points et évoluant simultanément, de manière synchrone.
À partir des années 1980, cet adjectif virtuel est aussi utilisé pour désigner ce qui se passe dans un ordinateur ou sur Internet, c’est-à-dire dans un « monde numérique » par opposition au « monde physique ». Néanmoins, tout comme « immatériel » ou « dématérialisé », cet adjectif est trompeur, car les infrastructures du réseau internet et les serveurs des centres de données qui exécutent les requêtes lancées depuis des ordinateurs personnels ou des smartphones sont bien matériels, et consomment beaucoup d’électricité (voir la section « Impact écologique de l’infrastructure » de l’article Internet). Ainsi, tout ce qui transite sur le réseau internet (streaming, réseaux sociaux, GPS, courriels, consultations et mises à jour de sites internet…) a un impact plus ou moins important sur l’environnement à travers la consommation d’électricité des centres de données, qui est souvent produite dans des centrales thermiques qui brûlent des combustibles fossiles, et qui donc émettent des gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique.
La notion de numérique, de digital est très souvent associée à celle de « virtuel ». Le mot virtuel s’emploie souvent pour signifier l’absence d’existence, pour désigner le contraire du réel, du palpable. Il peut signifier une forme de réalité parallèle numérique impalpable avec un côté très péjoratif pour nous humains, il évoque une non consistance, un état qui, parce qu’il est le contraire du réel, est catalogué de dangereux, sans intérêt, qui ne peut pas remplir le rôle de lieu de vie permanent.
Le digital n’est pas virtuel !
Ainsi, parce qu’elle ne cesse de s’élargir et de s’ouvrir à notre conscience, la réalité nous questionne. La multiplicité des consciences humaines multiplie-t-elle d’autant les interprétations du réel ? Chaque être humain ou espèce vivante vit-il sa propre réalité ? Pourrait-on alors en déduire qu’il existe plusieurs réalités, plusieurs vies possibles ? La multiplicité des mondes virtuels que nous créons et expérimentons réduisent-ils notre réalité à un simple monde parmi tant d’autres ?
Autant de questionnements sur notre réel qui révèlent les capacités sans limites de notre imaginaire, la faculté d’éveil de notre conscience et la capacité de l’Homme à se construire ses propres réalités.
[i] S. Freud, 1900, G.-W., II-III, 625
[ii] La réalité psychique du lien – René Kaës – Dans Le Divan familial 2009/1 (N° 22)
[iii] Empédocle, philosophe, poète, ingénieur et médecin grec de Sicile, 495-435 av J.C