L’Homme maître de la data

par | 12 Oct, 2020 | realite augmentee | 0 commentaires

Pendant des millénaires, l’être humain n’a eu connaissance du monde réel qu’à travers ses cinq sens naturels, sa vue, son ouïe, son odorat, son goût et son toucher. Les données étant de natures très différentes suivant leur source et nécessitant d’être transformées préalablement à leur traitement, le cerveau humain a alors développé une capacité de raisonnement permettant de combler les lacunes inhérentes à la faiblesse de ses capteurs biologiques. Malgré le fait que nous n’ayons pour le moment aucun point de comparaison avec une autre forme de vie hors système solaire, il semblerait qu’à l’échelle de l’évolution de données biologiques comparables, la progression de l’intelligence et de la conscience de l’Homme, surtout dans les cinq derniers millénaires, ait été fulgurante. Même si la conscience de l’Homme d’être lui-même constitué d’un assemblage complexe d’informations élémentaires ne fait qu’émerger, la donnée est déjà, pour lui, une matière exploitable qui lui permet de développer son intelligence, son imaginaire, ses technologies et donc son seuil de conscience, de lui-même et de son monde réel.

« Le Graal de l’IA sera la compréhension de l’Homme en tant que machine »[i].

Des prémices de l’apprentissage de la manipulation de la data par le numérique nous pourrions, dans un avenir proche, traiter simultanément la donnée biologique et numérique, puis traiter la donnée de l’univers data, pour peut-être même atteindre un jour la conscience que les deux ne forment qu’un. De nature data et happé par son besoin d’expansion effréné, l’Homme a récemment développé des outils technologiques qui font progresser exponentiellement ses capacités de traitement de données qui participent certainement à le différencier encore davantage des autres formes de vies potentiellement intelligentes de l’univers. La quête d’expansion de l’Homme fait de lui un producteur et consommateur effréné de datas biologiques et numériques. Et nos évolutions techniques et numériques rendent l’accroissement de ces dernières exponentielles. Ainsi, en quelques années seulement nous avons produit plus de data que pendant toute notre évolution.
Certes des datas numériques oui mais nous avons toujours généré beaucoup de datas biologiques.

Notre quête d’expansion vers l’infini a entraîné l’augmentation exponentielle de la population humaine, de ses constructions, de ses créations, et surtout de ses besoins, pour générer, in fine, un monde réel extrêmement complexe à comprendre et à gérer. Un monde empli de normes et de paramètres à prendre en compte pour effectuer la moindre action qui nécessitent désormais de rationaliser massivement nos métiers, nos technologies, notre environnement, notre expansion urbaine et même nos interactions. Le réel réclame ainsi de plus en plus d’être numérisé pour en permettre sa compréhension, faciliter sa gestion, optimiser sa consommation, anticiper ses risques, augmenter sa productivité, le gamifier, l’augmenter. Face à cette complexité du monde moderne, l’humanité s’est organisée en métiers de plus en plus spécialisés qui ont fini par se siloter et à oublier de se parler. Ainsi chacun a commencé à générer de la donnée de son côté, multipliant les métiers spécialisés.

L’univers data est devenu pour l’homme une matière à étudier, un vecteur d’éveil de sa conscience, un monde à maîtriser. L’Homme ne voulait pas le subir, il voulait le maîtriser, y prendre une place plus importante. La data est devenu un « or noir » car elle est le premier moyen de reprendre possession de la compréhension de notre monde et de nos congénères. Étudier des cellules, le fonctionnement des flux de population, étudier le réchauffement climatique, analyser les liens de causes à effet, anticiper, prévoir, bientôt prédire, la data nous aide à mieux comprendre pour in infe rationaliser notre monde, notre univers. L’essor de l’exploitation de l’ensemble des typologies de données a pris forme très récemment lorsque les technologies numériques ont atteint le niveau de maturité suffisant et que l’ensemble des secteurs d’activités y ont tous détecté un gisement de valeur économique et sociétal. Les technologies numériques et la virtualisation permettent de créer une surcouche digitale sur la donnée organique, biologique pour en comprendre les mécanismes et en déduire les comportements. Et leur évolution permet chaque année de traiter toujours davantage de données.

Notre monde du 20eme siècle donne toujours plus d’importance à la donnée qui par définition est virtuelle, impalpable et loin d’être fictionnelle. Le réel semble alors en besoin permanent de data pendant que le Virtuel de son côté permet d’en traiter toujours plus.

« Archiver le monde fait partie de la nature humaine »[ii].

La data n’est plus seulement captée exclusivement dans le virtuel, elle est désormais de plus en plus captée dans le monde réel, IOT, capteurs en tous genre, là aussi les technologies et business model se multiplient pour tenter de toujours mieux capter l’information de notre monde, pour le comprendre et mieux le rationaliser.

Les mondes virtuels et réel semblent tous deux bardés de capteurs. Vous pensiez pouvoir vous échapper, vous réfugier dans l’un ou l’autre de ces deux mondes ? Non, il sera prochainement tout aussi facile de déterminer votre position, de vous écouter, d’historiser vos décisions dans le réel que dans le virtuel. Et cela a déjà pris une ampleur conséquente via nos téléphones portables, parfaites sondes accrochées à chacun de nous tout au long de nos journées.

« Pour fidéliser les « fortniteurs », et grâce à l’analyse des millions de données enregistrées à chacune de leurs connexions, elle s’assurait qu’ils étaient à l’aise et satisfaits. Donc, qu’ils lui seraient fidèles »[iii].

« Désormais, nous sommes suivis, pistés, démasqués, mis en catégories, enregistrés. À chacune de nos innombrables connexions quotidiennes, nous dévoilons un peu plus de notre intimité. On sait tout de nous, de nos préférences, de nos espoirs, de nos petites manies inavouables… »[iv].

La data c’est aussi ce qui permet aux façonneurs de mondes virtuels, de les concevoir à notre image, sur la base des données recueillies de nos activités et réactions passées. Les architectes de ces mondes virtuels dans lesquels chaque jour nous nous immergeons toujours davantage, nos interfaces de travail ou de détentes, nos applications smartphones, nos salles de conférences virtuelles, nos jeux vidéo ou expériences en lignes, sont toutes créées sur la base d’études comportementales très poussées. La data est devenue la brique de création de toutes nos interfaces virtuelles numériques afin de les modeler à notre image ou plus précisément à celle du plus grand monde, afin de répondre à la majorité de nos pulsions et envie, et de nous convaincre d’y rester le plus longtemps possible.

[i] L’intelligence Artificielle en images – Henry Brighton et Howard Selina – edp sciences

[ii] Diana Zielinski (intervention TED, comment stocker des données numériques dans l’ADN)

[iii] Article « Les ados malades de « Fortnite » », journal Le Monde, avril 2019

[iv] Big Data, penser l’homme et le monde autrement – Gilles Babinet

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