Virtual human

par | 26 Mar, 2020 | realite data | 0 commentaires

Cet état de conscience des limites de notre condition biologique et de notre planète n’est pas nouveau, il a alimenté notre imaginaire pendant des siècles, créant ici des conceptions de dieux, ici des courants de pensées, ici des créations artistiques.

Dès 1959, le père Theillard de Chardin[i] parlait déjà de surhumains et d’hyperhumains, c’est à dire d’Hommes qui bénéficieront des progrès de l’humanité pour accéder à un niveau supérieur de conscience et de pouvoirs.

Désormais les courants de pensées transhumanistes et leurs dérivés tels que extropianisme, virtualistes, etc. sont largement répandus et de plus en plus puissants, prônant l’usage des sciences et des technologies, qu’ils considèrent infinies dans leur progrès, afin d’améliorer la condition humaine notamment par l’augmentation des capacités physiques et mentales des êtres humains. L’objectif étant in fine de libérer l’Homme de tous ses déterminismes ethniques, religieux, nationaux, voire familiaux. Tous admettent que l’Homme pourrait choisir de se dématérialiser pour parvenir à cet état ultime d’évolution et de pouvoirs infinis.

Aujourd’hui donc, penser que l’Homme pourrait se dématérialiser pour rejoindre un autre état moins contraignant et plus évolutif n’est plus considéré comme une absurdité, il tend même à devenir possible techniquement, faut-il désormais qu’il soit accepté éthiquement et socialement.

« Nous défions la notion d’inéluctabilité du vieillissement et de la mort, de plus, nous cherchons à apporter continuellement des améliorations à nos capacités intellectuelles, physiologiques et à notre développement émotif. Nous voyons l’humanité comme une étape transitoire dans le développement évolutionnaire de l’intelligence. Nous préconisons l’utilisation de la science pour accélérer notre transition de l’état humain à la transhumaine ou à une condition posthumaine »[ii].

« Nous pouvons déjà considérer que nous sommes déjà actuellement des transhumains, c’est-à-dire des êtres en transition vers un statut de posthumain. Nous sommes déjà tous des humains augmentés car nous nous projetons tous dans un espace de vie heureuse de 90 ans. Les femmes ont les enfants qu’elles souhaitent au moment où elles le souhaitent.
Nous avons déjà rompu avec la condition humaine de nos grands-parents qui, à 45 ans étaient déjà rompus et usés par la vie »[iii].
Autrefois nous attendions tout de Dieu et des forces spirituelles ce que désormais nous attendons de la technologie.

Pour Jean-Paul Baquiast, le concept de post-humanisme renvoie carrément à « un produit de l’évolution biologique darwinienne », l’Homme et la technique co-évoluent désormais ensemble, l’un ayant un impact sur l’autre et inversement. C’est une « lame de fond », un « changement inévitable » qu’impose aux sociétés traditionnelles le développement explosif et multiforme des sciences et des techniques, notamment dans le domaine du computationnel et de l’artificiel »[iv].

Selon certains, un post-humain serait un être transformé par la technologie en autre chose qu’un être humain[v]. Il pourrait ne pas avoir besoin de naître biologiquement, ou pourrait ne pas mourir. Mais Steven Pinker, un neuroscientifique cognitif, interroge cette dématérialisation de l’Homme :

« Si un chirurgien remplace un neurone par un circuit intégré qui copie fidèlement son fonctionnement. Vous ressentez les choses de la même manière et vous vous comportez comme auparavant. Ensuite, il remplace un autre neurone de la même manière, puis un troisième jusqu’à ce que la plus grande partie de votre cerveau soit constituée de puces électroniques. Puisque chaque puce fonctionne exactement comme le neurone qu’elle remplace, votre comportement et votre mémoire ne sont pas modifiés. Pourriez-vous noter une différence ? Est-ce que c’est la même chose que mourir ? Est-ce qu’une autre entité aurait alors emménagé à l’intérieur de vous ? »[vi].

Désormais, robotique, intelligence artificielle, nanotechnologies, génétique, œuvrent de concert pour améliorer L’Homme. Pour finalement en faire un monstre augmenté ? L’amputation volontaire arrivera-t-elle un jour ? Possiblement si les prothèses donnent des pouvoirs que le corps biologique ne permet pas naturellement, ou qu’elles nous rendent plus beau, plus forts ou plus intelligents. Malgré toutes ces « augmentations » présentes et surtout futures, même augmenté au maximum, l’Homme demeurera un être biologique évoluant dans un monde physique réel à risques, dépendant du vieillissement de ses organes.

A l’échelle de notre histoire, la phase post-humaniste de l’espère humaine ne pourrait être que de courte durée, l’Homme pourrait rapidement faire le choix, par facilité et urgence, de se dématérialiser plutôt que de continuer à s’augmenter biologiquement. Sur cette planète, nous sommes la première espèce vivante à être en mesure d’envisager cette éventualité de dématérialisation de notre corps et de notre esprit. La première espèce à pouvoir prendre le contrôle de notre propre évolution, à pouvoir s’affranchir de la sélection naturelle et envisager concrètement de s’affranchir de notre condition biologique première.

La révolution industrielle a remplacé nos muscles par des machines, la révolution de l’IA remplacera nos cerveaux par des agents intelligents, la révolution scientifique fera de nous des êtres biologiques augmentés. 

La révolution digitale ou virtuelle pourrait, quant à elle, nous faire prendre la place des machines en dématérialisant à la fois nos corps et nos cerveaux pour, in fine, possiblement nous ramener à notre état primaire d’Homo Data. Mais comment allons-nous rester humains au milieu de tout cela ? Et cela aura-t-il du sens de le rester ? Devrons-nous accepter un jour de céder la place à des générations d’êtres partiellement puis totalement digitalisés considérant les êtres biologiques comme des créatures d’une autre ère ?

[i] Pierre Teilhard de Chardin, 1881 – 1955, prêtre jésuite français, chercheur, paléontologue, théologien et philosophe

[ii] Max More

[iii] Hervé Juvinconférence au Parlement de Bruxelles – 31 janvier 2017

[iv] Jean-Paul Baquiast, Ce monde qui vient : sciences, matérialisme et posthumanisme au xxie siècle, préface de Paul Baquiast, L’Harmattan, 2014, p. 45

[v] Site Internet Histophilo

[vi] Steven Pinker, How the Mind Works

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