Data Universe

Data Universe

Data Universe

-13,799 milliards d’années, J0 – mur de Planck, notre univers est une minuscule sphère pesant 20 microgrammes. Les notions de temps, d’espace, de rayonnements et de forces y sont stockées à l’état de briques de données élémentaires. L’ensemble des lois, de la matière, des énergies et des interactions fondamentales sont homogènes et unies par un seul algorithme ultime qui va bientôt se libérer. Le temps réel est mélangé au temps imaginaire. La matière est immatérielle. Tout est connecté à tout. L’atome primordial n’est que data pure. Malgré notre niveau très élevé de conscience actuelle, ce point zéro demeure en dessous de notre réalité observable ou imaginable, certains l’appellent le point de rencontre avec la main de Dieu.

J0 + mur de Planck, c’est le Big Bang, l’algorithme univers entre en action, il libère la masse de données élémentaires qui explose, se propage dans l’espace-temps pour y devenir astronomique, fondamentale. Au moment précis de ce big bang data, le temps est imaginaire et l’univers est un système quantique unique[i], en une fraction de seconde, il mesure déjà des millions de kilomètres. La grande inconnue demeure, qui ou quoi aurait généré cette impulsion initiale ?

J + 13,799 milliards d’années d’évolution, l’algorithme univers se déploie telle une fonction d’onde sur la base de cette nébuleuse de particules d’informations. Mécanique quantique, Relativité Générale, Thermodynamique, etc. définissent l’agencement des données qui changent alors d’états, de natures, de sens, de fonctions. Brassées, imbriquées, fusionnées, dupliquées, scindées, les données élémentaires forment, entre autres, ici le vide, ici les atomes, ici la matière, ici la gravitation, ici le temps, ici la lumière, ici la vie. Cette magie donne naissance à notre univers connu et inconnu, visible et invisible, palpable et impalpable, peut-être même réel et virtuel, physique et digital. Cet algorithme univers continue encore d’échapper à notre quête de théorie unitaire combinant et unifiant la relativité générale et la mécanique quantique[ii].

J+13,799 milliards d’années, année 2020 du calendrier Grégorien, l’algorithme poursuit toujours sans relâche sa création. La donnée sous-entend désormais chaque chose, elle est devenue le socle de notre univers, sa matrice. Dans cet univers data, chaque particule, chaque élément, chaque changement d’état, chaque mouvement imprime une information, enregistre un paramètre, engendre des calculs. L’univers continue sans cesse de fabriquer de la matière avec de l’information. Ici et là, la vie naît de cette harmonie de précision mathématique. Toujours sous le coup de l’impulsion fabuleuse du Big Bang, l’ensemble des formes de données poursuivent inexorablement leur expansion. Et chaque élément fondamental quelles créent semble suivre la même force, y compris la vie.

J+ 18 milliards d’années, les réserves d’hydrogène de notre soleil sont épuisées. Lui qui était parvenu pendant 10 milliards d’années à préserver son équilibre entre gravité et rayonnement passe rapidement du stade de naine jaune à géante rouge, sa taille devient telle qu’elle engloutie la quasi-totalité des planètes de notre système dont la Terre. Cette dernière était de toutes façons devenue inhabitable depuis des centaines de millions d’années du fait de l’augmentation progressive de la température de notre défunt soleil. Notre Terre n’est plus et toute forme de vie disparaît de notre système solaire. L’Homme ou l’une de ses formes descendantes auront-il survécu jusqu’alors ? Auront-il depuis longtemps quitté ce système solaire et sa Terre originelle déjà agonisante des milliards d’années auparavant ?
« Afin que notre espèce survive à long terme, afin d’éviter d’être englouti par un Soleil agonisant et déchaîné, il nous faut – nous n’avons pas le choix – prendre les rênes de notre propre futur. Démêler les lois de la nature et apprendre à les utiliser à bon escient est notre seule chance. […] Pour survivre aux innombrables catastrophes potentielles, et à l’inévitable fin du Soleil, le chemin est celui de la connaissance, de la science »[iii].

J+ 1000 milliards d’années, game over, l’univers a fini son expansion, chaque étoile a consommé la totalité de son hydrogène, c’est le noir total. Plus rien n’est censé exister, à part peut-être d’autres univers si tant est qu’ils existent ou bien d’autres mondes autonomes que l’Homme ou d’autres espèces intelligentes et leurs descendances seraient parvenues à créer et dans lesquelles elles se seraient échappées pour continuer de croître sans limites et sans fin.

La vie biologique telle que nous la connaissons est-elle alors l’apogée de cet algorithme universel ? Ou bien n’est-ce qu’une étape d’évolution ? Cet univers data peut-il héberger d’autres formes de réalités, d’autres formes d’évolutions que celle que nous vivons ou imaginons ?
Et l’Homme, en tant que fruit de l’algorithme élémentaire arrivé à un degré de d’évolution avancé, pourra-t-il continuer sans fin à éveiller sa conscience, parviendra-t-il à remonter le process de construction de cet algorithme au-delà de la réalité observable et calculable ? Cela lui servira-t-il d’ailleurs à quelque chose de le faire ? Cela pourrait-il signifier sa fin ?

Mais qu’est-ce que la donnée qui semble être la brique de base de notre univers ? La donnée est information. Elle peut-être une description élémentaire d’une réalité, une observation, un point de départ servant à un raisonnement, le résultat d’une comparaison, d’un calcul. A l’état de donnée brute, elle est dépourvue de tout raisonnement, supposition, constatation ou probabilité, elle est jugée indiscutable. La donnée est présente partout autour du nous sous une myriade de formes spatiales, temporelles, biologiques, quantiques, astronomiques, organiques, etc. Toutes ces typologies de données forment l’essence de notre univers, le point de départ de raisonnement de son algorithme, la matrice de base de sa conception et de son expansion.

Dans le langage commun, la notion de donnée est rattachée quasi exclusivement au monde du numérique, comme si seul ce dernier pouvait prétendre être générateur et catalyseur de données. Le numérique n’est qu’un moyen récent plus rapide de traiter la donnée, une technologie humaine pour la décoder, la maîtriser et en extraire des prédictions. Le numérique est notre pierre de silex qui a allumé que très récemment un nouvel âge d’expansion de l’intelligence.

Physique et cosmologie disposent depuis peu d’un sous-domaine appelé « physique numérique » qui assume scientifiquement des perspectives théoriques basées sur le postulat que l’univers peut être décrit par des informations et peut donc être calculé, voire même déjà simulé d’une certaine manière. C’est la théorie de l’« hypothèse de la simulation » au sein de laquelle les chercheurs procèdent au rapprochement des lois de notre monde réel avec nos logiques mathématiques et technologiques. Certaines études déduisent déjà que le rapprochement théorique est envisageable[iv], que notre Univers, à l’image d’une grille de pixels sur un écran dispose une résolution dite « finie », d’un maillage de base, d’une matrice « sous-jacente ». L’Univers et la réalité ne seraient pas seulement faits d’énergie ou de matière mais davantage de fragments d’information, de Data. De plus en plus de communautés scientifiques s’accordent à dire que la matière comme telle n’existe pas, que la substance de la nature serait une fonction d’onde, un vecteur dans l’espace. La mécanique quantique est ainsi elle-même une manifestation d’informations, une manifestation de potentiels, c’est-à-dire d’ondes d’informations régis par des ondes d’électrons potentiels. Mais quelle serait alors la matrice régissant ces ondes, telles des vagues à la surface d’un océan ? Il s’agirait d’un « océan universel », que certains appellent « champ unifié » ou « champ de la supercorde ». Cet univers d’ondes et d’ondulations pourrait bien être la donnée elle-même. Un univers en mouvement disposant d’un algorithme imprimant ondes et mouvements à la data qui le compose. La donnée est-elle cette brique ultime, indivisible, ce plus petit et à la fois le plus grand élément maître constituant de notre univers ?

[i] études de la singularité au moment du Big Bang – Hawking et Hartle

[ii] Une brève histoire du temps – Stephen Hawking

[iii] L’Univers à portée de main – Christophe Galfard – Flammarion

[iv] Constraints on the Universe as a Numerical Simulation. Cornell University

Homo Data

Homo Data

Homo Data

Au milieu de cette magie créative d’un univers en expansion, l’Homme, fruit du long et complexe mélange de l’évolution représente désormais l’une des résultantes les plus avancées de la chimie des données élémentaires. Ses brins d’ADN, contenus dans chacune des 30000 milliards de cellules qui le composent, stockent plusieurs gigas de données, soit bien davantage que tous les serveurs informatiques en silicium de la planète réunis.  Ses émotions, ses pensées, ses choix, ses mouvements sont autant de déclinaisons complexes de l’algorithme fondamental, calculées par ses milliards de neurones qui ne cessent de composer avec les myriades d’informations environnantes protéiformes.

Dès 1953, les biologistes Francis Crick et James Watson démontraient qu’il existait des lignes de codes dans les brins d’ADN. L’informatique ne serait alors pas une invention de l’homme mais une propriété du vivant. Un organisme serait une machine avec pour programme de se reproduire.

Assemblage ultra perfectionné d’informations cellulaires, l’Homme fait certainement partie des plus fortes singularités de l’univers data, caractérisé par l’immense capacité d’expansion de sa conscience dans un temps records de seulement 0,004% d’existence sur sa planète. Bien d’autres résurgences vivantes de la donnée élémentaire ayant évolué jusqu’à la conscience pourraient avoir émergé antérieurement ou simultanément dans l’univers. Au milieu des cent milliards de planètes contenues dans chacune des cent milliards de galaxies, certaines formes de vies pourraient avoir atteint le même niveau de conscience que le nôtre ou d’autres l’avoir largement dépassé, faisant de nous des êtres non plus signifiants mais insignifiants au milieu de la multitude. L’Homme, par sa volonté à comprendre et maîtriser son environnement a, en même temps, cheminé vers la conscience de sa place dans l’univers, à mi-chemin semble-t-il entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, tous deux nés de la même matière fondamentale, de la même chimie data.

« À mi-chemin des atomes et des étoiles, nous étendons l’horizon de nos explorations pour embrasser à la fois l’infiniment petit et l’infiniment grand. »[i].

Mais ce qui fait la force de notre espèce, cette capacité à mutualiser nos connaissances, de surcroît de nos jours via internet, nous permet chaque jour d’amplifier notre conscience du monde qui nous entoure. En poursuivant sans relâche sa quête de décryptage de l’algorithme univers, de cette théorie mathématique ultime, unifiant toutes les autres, l’Homme finira certainement par prouver que notre univers n’est que data et qu’il l’est lui-même tout autant. Ce Graal des énigmes que nous nommons « hypothèse de Rieman » et qui, si nous la résolvons, pourrait bien confirmer que notre existence repose sur un ordre profond, tracé par une sorte de Dieu sous la forme d’une équation. Une ultime clé qui permettrait d’affirmer que la naissance de l’Univers n’est pas fruit du hasard[ii].

L’humanité et l’ensemble des formes de vies découleraient des ondes fondamentales de l’Univers en mouvements, elles viendraient toutes de la même brique de données élémentaire de départ. Nous serions tous des ondes de vibrations de data, des formes de vies comme il pourrait en exister beaucoup d’autres. Dans cet océan d’existence, ce seraient ainsi ces ondes de données qui nous uniraient à la fois entre nous mais aussi avec notre Univers et tout ce qui le compose, c’est la théorie d’un champ unifié de conscience, d’unité, qui pourrait prétendre à résoudre le mystère de corps et d’esprit.

« La multiplicité que nous percevons n’est qu’une apparence, en vérité il n’y a qu’un seul esprit »[iii].

Chaque avancée technologique, scientifique, etc. serait une redécouverte plus profonde de notre vraie nature. Sous notre couche de conscience se cacherait ainsi un être digital par nature, un ordinateur biologique, un système d’information évolué et conscient de l’être. Baignés dans cette matière data physique, biologique, organique ; nos maladies, nos mauvais choix n’y seraient alors que des erreurs de codes ; la moindre de nos interactions avec le monde engendrerait un calcul, imprimerait une empreinte physique et virtuelle permanente, et enregistrerait un état d’information préalable puis futur. Nos aptitudes à créer l’informatique, manipuler la data numérique et créer des mondes virtuels, seraient ainsi, quant à elles, une seconde nature.

Les courants de pensée de l’IA Forte ou de la « métaphore informatique » établissent déjà un parallèle entre le rapport qu’entretiennent les programmes avec les ordinateurs et l’esprit avec le cerveau physique. Ils sous entendent que les deux pourraient partager la même logique de calculateurs de données affirmant déjà que l’Homme est une forme d’ordinateur régie par des lois mathématiques, certes complexe mais dont il serait possible de recréer voire d’égaler pour construire des machines capables de conscience, de pensées et d’émotions.

« Ce n’est plus l’ordinateur qui imite la pensée, c’est la pensée qui imite l’ordinateur. C’est la vie qui imite l’informatique. Autrement dit, il faut imaginer que ce langage organique qu’est l’informatique est peut-être le langage de la vie elle-même ».[iv]

L’Homme et l’informatique ne seraient alors pas rencontrés par hasard, la réunion aurait pu être déjà programmée, anticipée, mais pour quel objectif ? Celui de nous donner les moyens de rejoindre notre nature première d’Homo Data, de nous dématérialiser pour accéder à un niveau de conscience et de maîtrise ultime ? Notre monde naturel serait le digital dans toutes ses formes, aspects et énergies. Notre monde Réel pourrait être le Virtuel, nos mondes virtuels notre réel. Le monde physique et le monde numérique ne seraient alors pas liés uniquement par une dépendance énergétique mais ne seraient qu’une continuité de l’un vers l’autre. Homo Data disposant d’une aptitude unique d’intégration et d’assimilation des univers virtuels, nous serions, par nature, aptes à nous virtualiser, à nous dématérialiser dans des mondes digitalisés pour aller sans cesse plus loin et plus vite sans subir les limites de notre monde physique et de notre corps biologique.

[i] Citation de Carl Sagan

[ii] L’équation Dieu – Igor et Grichka Bogdanov – Grasset

[iii] Citation de Erwin Schrödinger

[iv] Traduction de la pensée de Jacques Lacan – informatique Céleste – Mark Alizart

Expansion exponentielle

Expansion exponentielle

Expansion exponentielle

L’équation Big Bang a imprimé une expansion constante à notre univers qui ne cesse de croître.  La matrice de création initial de l’univers aurait pu être en fait incroyablement simple, ne comportant qu’une grille de cellules régies par quelques instructions de fonctionnement élémentaires qui au fil du temps auraient gagné progressivement en complexité pour former la richesse du monde dans lequel nous vivons et que nous commençons tout juste à apprendre à connaître. 

Depuis la Terre, nous n’expérimentons pas uniquement cette expansion au travers de l’observation de l’augmentation constante de la longueur d’onde de la lumière émise par les galaxies, notre être tout entier semble lui aussi nous pousser sans cesse à étendre nos capacités cognitives et notre emprise sur le monde. Ainsi, Homme et Univers, qui partagent les mêmes briques de données élémentaires, semblent soumis aux mêmes lois d’inflation. Tout comme l’univers qui nous a créé, nos premières secondes de vie sont déjà marquées par la démultiplication de nos cellules élémentaires, qui suivant leur propre algorithme gagnent en complexité pour former petit à petit notre corps. Un corps biologique qui arrivé à un certain stade d’adolescence s’arrête de croître pendant que notre cerveau lui, continue son expansion cognitive. Notre intelligence et notre conscience se retrouvent alors définis dans un corps aux limites spatiales ténues, aux capacités elles-mêmes somme toute limitées, dans un corps soumis aux aléas de la vie et de la maladie, un corps qui ne cesse jamais de vieillir. Notre esprit lui, à l’exception de maladies, ne vieillit pas, il s’enrichit de chaque expérience, de chaque épreuve, il ne cesse de progresser et de se renforcer pour finalement se retrouver frustré de ne pouvoir poursuivre indéfiniment sa course d’intelligence et d’éveil au monde et aux autres qui l’entourent.

« L’homme dispose d’un potentiel neuronale gigantesque qu’il a sans cesse besoin d’alimenter, de faire progresser au maximum de sa puissance de recherche et d’analyse. »[i]

Notre condition biologique et notre existence limitée dans le temps nous incitent à trouver tous les moyens possibles permettant d’éveiller plus rapidement et de manière exponentielle notre conscience, d’abord grâce à notre intelligence et désormais nos technologies. Ce besoin de croissance effrénée est inscrit très profondément en nous. Les récentes recherche sur le cerveau humain montre ainsi que l’une de ses zones centrales profonde, nommée Stratum, est assoiffée de dopamine, une substance du plaisir sécrétée lorsque nous accomplissons des objectifs.

« Nos neurones en charge d’assurer notre survie ne sont jamais rassasiés et réclament toujours plus de nourriture, de sexe et de pouvoir […] Ils nous poussent à rechercher encore et toujours la croissance dans tous les domaines »[ii].

Ces quêtes de plaisirs relativement simples en apparence mais permanents et exponentiels génèrent sans cesse de nouveaux besoins qui, multipliés par près de 8 milliards d’individus ont désormais un énorme impact sur notre écosystème. Nous ressentons du plaisir à manger, si possible de qualité et en quantité ; à faire régulièrement l’amour ; à être reconnus, c’est-à-dire avoir du statut social donc de dominer les autres ; d’avoir le plus possible d’informations sur notre environnement et enfin à minimiser nos efforts, c’est-à-dire à rechercher le plus de confort possible. Surproduction et surconsommation découlent directement du besoin de répondre à ces plaisirs instinctifs primaires. Notre société de pléthore produit désormais industriellement des sources de nourriture, de confort ou d’informations qui n’ont de cessent d’alimenter nos besoins et plaisirs archaïques. Mais cette zone Stratum du cerveau n’a pas de fonction stop et nous n’avons de cesse de toujours consommer davantage pour finir par développer de nombreuses addictions. Une addiction à l’expansion qui, pour l’humanité, s’appelle « ambition » ou « progrès ». Tout notre être est guidé par l’évolution.

« Les humains continuent-ils d’évoluer ? La réponse est : sans aucun doute. Car pour cesser d’évoluer, il faudrait que notre génome ne soit plus affecté par aucune mutation, que notre environnement soit parfaitement stable et qu’il n’y ait pas de compétition entre les individus. Or ces situations n’existent pas. »[iii]

La croissance est devenue un let motiv de vie, partagé par la grande majorité d’entre nous, levez la tête et vous constaterez toutes les publicités incitant au dépassement de soi et vous questionnant : « Que souhaitez-vous faire ? : pouvoir croître dans un monde en mutation »[iv].

Dans cet univers infini de données en expansion, l’Homme habite encore un monde fini dont il essaye sans relâche de repousser les limites. L’Homme ne dispose encore que d’une vision floue de l’univers dans lequel il évolue, à son échelle, ce domaine est tellement vaste et vide qu’il l’a appelé faute de mieux, Espace. Accroché au sol de sa petite planète, et devant l’immensité spatiale lui faisant face, l’Homme en tant qu’espèce est depuis toujours poussé par une volonté profonde de se surpasser pour un jour parvenir à percer le secret de l’univers, comprendre quelle place il y tient, étudier le cosmos, s’y projeter, voire s’y promener librement, y trouver d’autres vies pour s’y sentir moins seul, moins isolé. Ce qui devient de plus en plus certain et acceptable pour l’Homme c’est que son univers est bien plus possiblement un océan de vies très éloignées physiquement les unes des autres qu’un vide intersidéral.

« Pour l’Homme, sur sa planète isolée, deux possibilités existent « soit nous sommes seuls dans l’univers, soit nous ne le sommes pas. Les deux sont aussi terrifiant l’un que l’autre »[v].

« Jamais, depuis l’aube de la civilisation, les hommes ne se sont accommodés d’événements hors cadre et inexplicables. Ils ont toujours eu soif de comprendre l’ordre sous-jacent dans le monde. […] Ce désir de savoir, chevillé à l’humanité, est une justification suffisante pour que notre quête continue. Et notre but n’est rien moins qu’une description complète de l’Univers dans lequel nous vivons »[vi].

En tant qu’êtres de conscience ambitieux, assoiffés de croissance, de connaissance et de progrès, notre conscience nous éveille aussi à la fragilité de notre monde et aux responsabilités que nous devons endosser. Dans cet océan de vide et ces forces d’expansion qui dépassent de loin nos conditions biologiques, nos défis ne cessent de grandir et de se démultiplier pour s’appeler désormais réchauffement climatique, sixième extinction de masse, épidémies, famines, cancer, guerres, harmonie des populations, etc. Pressé par la nécessité de répondre à ces enjeux qui lui font face, l’Homme s’est retrouvé obligé de maîtriser toujours plus profondément et rapidement tous les aspects de son être et de son environnement.

Face à sa condition biologique éphémère et l’ampleur des enjeux, l’Homme s’est inscrit, par nécessité, dans une logique permanente d’expansion de sa conscience et de son environnement, il consacre ainsi toute son énergie à repousser ses propres limites biologiques et à étendre son monde, visuellement, physiquement, scientifiquement, philosophiquement, socialement, économiquement, techniquement, mentalement, et désormais technologiquement, digitalement et virtuellement. Chaque enfant est une expansion de nous-même, une volonté de poursuivre la croissance de la vie ; chaque nouveau bâtiment, route, polder sur la mer ou voyage spatial est une conquête d’espace complémentaire ; chaque découverte scientifique ou biologique est un nouveau pouvoir sur la matière et les éléments ; chaque avancée médicale est un gain d’espérance de vie ; chaque évolution des microscopes ou des télescopes est une conquête sur l’infiniment petit et sur l’infiniment grand, une nouvelle frontière repoussée par l’œil humain ; chaque record de vitesse est une partie gagnée contre le temps, une capacité d’atteindre plus vite et plus loin un objectif ; chaque avancée technologique est un gain de puissance de calcul complémentaire permettant d’étendre nos capacités cognitives ; chaque œuvre d’art, chaque création cinématographique ou ludique est une nouvelle extension de notre imaginaire et de nos émotions ; chaque découverte archéologique étend notre conscience du temps passé pour élargir ainsi notre histoire.

L’humain, par son intelligence, étend ainsi son monde physique et mental. Chaque jour nous ouvre de nouveaux territoires, de nouveaux horizons, chaque jour notre conscience de nous-même et de notre univers s’amplifie, se structure et se concrétise. Chaque jour nous rapproche de la conscience de cet univers de données dont nous partageons les mêmes briques élémentaires. Chaque jour nous donne de nouveaux pouvoirs sur nous-même et notre environnement, chaque jour nous rapproche d’une forme d’Homo Deus[vii]Mais l’univers est bien plus vaste et riche que nous ne l’imaginions, chaque nouvelle découverte élargi notre réalité certes mais aussi notre part d’inconnu. Chacune de nos découvertes nous donnent envie d’aller plus loin et d’en apprendre davantage, notre soif d’expansion pourrait ne jamais prendre fin mais aussi devenir chaque fois plus urgente, générer sans cesse de nouveaux besoins indéfiniment.

Mais alors, puisqu’il n’y a pas de remède à notre volonté biologique d’expansion, comment continuer de croître indéfiniment, comment tout comprendre, tout explorer, tout maîtriser ? Il nous faudrait pouvoir évoluer sans contraintes au-delà de notre petite planète, il nous faudrait pouvoir disposer de puissances de calculs sans limites, il nous faudrait quitter notre enveloppe biologique et pouvoir s’émanciper de l’apesanteur.

[i] Olivier Houdé, Professeur de psychologie du développement, Université Paris Descartes – vidéo du Monde sur le phénomène Rubik’s Cube

[ii] Le Bug Humain – Sébastien Bohler, docteur en neurosciences et rédacteur en chef du magazine Cerveau & Psycho. Edition Robert Laffont

[iii] Laurent Brasier, sciences et avenir – Les humains continuent-ils d’évoluer ? – 06/10/2019

[iv] Publicité Bank of America – 2019

[v] Arthur C.Clarke

[vi] Une brève histoire du temps – Stephen Hawking

[vii] Homo Deus – Yuval Noah Harari

Solitude cosmique

Solitude cosmique

Solitude cosmique

Naturellement ambitieux, l’Homme a développé ses capacités intellectuelles et technologiques pour croître toujours plus vite et tenter de résoudre les mystères de son Univers. Désormais en capacité de toujours mieux percevoir un monde et des dimensions sans cesse plus vastes autour de lui, l’Homme se sent néanmoins à contrario chaque jour plus petit, plus insignifiant dans cette immensité.

« L’Homme si supérieur semble bel et bien perdu dans un océan cosmique en perpétuel mouvement »[i].

La matérialisation de ce ressenti s’est notamment produit lorsqu’en 1990 la sonde Voyager 1, alors à une distance de 6,4 milliards de kilomètres de la terre, s’est retournée vers la terre, comme un ultime au revoir à son port de départ, pour prendre en photo ses créateurs humains restés sur Terre. Ce cliché désormais célèbre « pale blue dot » montre notre planète à l’échelle d’un minuscule point isolé, perdu dans l’immensité du vide intersidéral.

Ainsi aujourd’hui, et malgré les immenses progrès humains dans tous les domaines, l’humanité reste désespérément accrochée à cette minuscule sphère bleue suspendue dans le vide spatial. Et comme si cela ne suffisait pas, nos progrès consument davantage notre planète qu’ils ne l’étendent ou la renforcent, ce qui amplifie encore cette sensation partagée de fragilité, d’urgence et d’isolement.

A notre échelle, depuis la croûte terrestre, chaque point du ciel d’environ la taille d’une tête d’épingle contient des millions de galaxies contenant elles-mêmes des milliards d’étoiles.
Ainsi, en regardant le ciel, nous ne contemplons pas du vide mais bien une infinité de mondes et de vies potentielles. Un univers qui, si on le regarde de manière totalement dézoomée à l’échelle de millions d’années-lumière forme une constellation d’innombrables systèmes abritant très certainement des quantités astronomiques de vies qui ne pourront jamais se croiser ni même s’observer les unes les autres.
C’est cet univers de vide surpeuplé qui doit nous faire prendre conscience du caractère extrêmement précieux de la vie sur Terre, qu’elle soit animale, végétale ou humaine. C’est aussi ce vide enveloppant qui exacerbe toujours davantage notre conscience que notre planète est le seul navire habitable à des milliards de kilomètres de distance et que ce navire et les écosystèmes qu’il abrite sont déjà plus qu’en danger, ils sont en voie d’extinction. Les chances de rejoindre un jour ne serait-ce que le système le plus proche de nous est impensable. En effet, à la vitesse déjà phénoménale de la sonde Voyager 1 de 17km/s, il nous faudrait plus de 80000 ans pour rejoindre alpha du centaure situé à seulement 4,2 années lumières de nous.
Si L’Homme doit poursuivre son expansion démographique à la surface de sa planète, il doit envisager de devoir le faire autrement à court terme.

« Pour la première fois, de son histoire, l’enjeu pour l’humanité va être de se survivre à elle-même. Non plus à des prédateurs, à la faim ou aux maladies, mais à elle-même »[ii].

Nous avons pris conscience que notre réalité et notre monde, étaient finalement très étroits, très longs à étendre et qu’ils n’étaient pas éternels, voir même qu’ils étaient en sursis.

« Se rendre compte de la finitude de notre monde, de sa place dans un espace tellement gigantesque qu’il semble sans fin est, et sera toujours, une grande leçon d’humilité »[iii].

Nous avons également pris conscience que nos vies à chacun de nous était un battement de cils de l’univers et que finalement il est très peu certain que quoi que ce soit n’existe après la mort. Cette dernière représentant un obstacle majeur à la vie, nous mettons tout en œuvre pour ne pas ressentir l’écoulement du temps. Ainsi, pour la plupart, nous nous accrochons aux rythmes quotidiens qui se répètent sempiternellement et préférons de plus en plus nous réfugier dans des univers virtuels. Parmi la multitude de nos semblables, nous nous sommes également rendu compte de n’être finalement que simple individu parmi des milliards avec une valeur ajoutée inversement proportionnelle à l’augmentation du nombre d’humains. De telles prises de conscience si rapide à l’échelle de l’évolution d’une fragile espèce biologique telle que la nôtre a de quoi exacerber certaines peurs du réel, de déclencher un état d’urgence à vouloir s’en émanciper ou à progresser encore plus rapidement, autrement, ailleurs.

Les technologies que nous ne cessons jamais de faire progresser nous consument en même temps, les machines remplacent nos bras, nos smartphones notre mémoire, nos GPS notre sens de l’orientation, les automates nos tâches quotidiennes, les intelligences artificielles progressivement nos cerveaux. Au-delà de la condition de notre planète essoufflée par notre progrès, c’est notre condition biologique d’êtres humains qui se fragilise également à nos yeux. Enfermés dans un corps aux capacités et à la durée de vie limité, accroché sur une seule minuscule planète magnifique aux ressources déjà épuisées, l’Homme sait que le temps lui est compté. Rattrapé par la dure réalité terrestre et mis en compétition avec ses propres technologies, son ambition naturelle le poussera très certainement à vouloir s’émanciper de toutes les contraintes et limites intrinsèques à son monde réel et à sa condition biologique.

D’Homo Data voulant atteindre rapidement le stade Homo Deus, il pourrait vouloir s’expandre et faire progresser ses pouvoirs de façon encore plus rapide. Pour se faire, il pourrait faire le choix de dématérialiser complètement son existence réelle, de se digitaliser pour gommer les contraintes de son monde physique. Il pourrait vouloir créer son voir ses propres mondes sans limites physiques, biologiques ou temporelles.

Toute comme la donnée qu’il manipule au quotidien pour la transformer de matière réelle à matière virtuelle, il pourrait appliquer ce pouvoir à lui-même pour rejoindre sa vraie nature, celle d’Homo Digital.

« C’est peut-être ainsi que naît toute la beauté, de se savoir fragile. Perdue d’avance, la course va se poursuivre sans frein dans les étoiles. »[iv] et/ou dans des réalités digitales parallèles.

[i] Extraits de la vidéo France 5, « Vie unique, une espèce à part »

[ii] Le Bug Humain – Sébastien Bohler, docteur en neurosciences et rédacteur en chef du magazine Cerveau & Psycho. Edition Robert Laffont

[iii] L’Univers à portée de main – Christophe Galfard – Flammarion

[iv] Poème de Stéphanie Bodet

Virtual human

Virtual human

Virtual human

Cet état de conscience des limites de notre condition biologique et de notre planète n’est pas nouveau, il a alimenté notre imaginaire pendant des siècles, créant ici des conceptions de dieux, ici des courants de pensées, ici des créations artistiques.

Dès 1959, le père Theillard de Chardin[i] parlait déjà de surhumains et d’hyperhumains, c’est à dire d’Hommes qui bénéficieront des progrès de l’humanité pour accéder à un niveau supérieur de conscience et de pouvoirs.

Désormais les courants de pensées transhumanistes et leurs dérivés tels que extropianisme, virtualistes, etc. sont largement répandus et de plus en plus puissants, prônant l’usage des sciences et des technologies, qu’ils considèrent infinies dans leur progrès, afin d’améliorer la condition humaine notamment par l’augmentation des capacités physiques et mentales des êtres humains. L’objectif étant in fine de libérer l’Homme de tous ses déterminismes ethniques, religieux, nationaux, voire familiaux. Tous admettent que l’Homme pourrait choisir de se dématérialiser pour parvenir à cet état ultime d’évolution et de pouvoirs infinis.

Aujourd’hui donc, penser que l’Homme pourrait se dématérialiser pour rejoindre un autre état moins contraignant et plus évolutif n’est plus considéré comme une absurdité, il tend même à devenir possible techniquement, faut-il désormais qu’il soit accepté éthiquement et socialement.

« Nous défions la notion d’inéluctabilité du vieillissement et de la mort, de plus, nous cherchons à apporter continuellement des améliorations à nos capacités intellectuelles, physiologiques et à notre développement émotif. Nous voyons l’humanité comme une étape transitoire dans le développement évolutionnaire de l’intelligence. Nous préconisons l’utilisation de la science pour accélérer notre transition de l’état humain à la transhumaine ou à une condition posthumaine »[ii].

« Nous pouvons déjà considérer que nous sommes déjà actuellement des transhumains, c’est-à-dire des êtres en transition vers un statut de posthumain. Nous sommes déjà tous des humains augmentés car nous nous projetons tous dans un espace de vie heureuse de 90 ans. Les femmes ont les enfants qu’elles souhaitent au moment où elles le souhaitent.
Nous avons déjà rompu avec la condition humaine de nos grands-parents qui, à 45 ans étaient déjà rompus et usés par la vie »[iii].
Autrefois nous attendions tout de Dieu et des forces spirituelles ce que désormais nous attendons de la technologie.

Pour Jean-Paul Baquiast, le concept de post-humanisme renvoie carrément à « un produit de l’évolution biologique darwinienne », l’Homme et la technique co-évoluent désormais ensemble, l’un ayant un impact sur l’autre et inversement. C’est une « lame de fond », un « changement inévitable » qu’impose aux sociétés traditionnelles le développement explosif et multiforme des sciences et des techniques, notamment dans le domaine du computationnel et de l’artificiel »[iv].

Selon certains, un post-humain serait un être transformé par la technologie en autre chose qu’un être humain[v]. Il pourrait ne pas avoir besoin de naître biologiquement, ou pourrait ne pas mourir. Mais Steven Pinker, un neuroscientifique cognitif, interroge cette dématérialisation de l’Homme :

« Si un chirurgien remplace un neurone par un circuit intégré qui copie fidèlement son fonctionnement. Vous ressentez les choses de la même manière et vous vous comportez comme auparavant. Ensuite, il remplace un autre neurone de la même manière, puis un troisième jusqu’à ce que la plus grande partie de votre cerveau soit constituée de puces électroniques. Puisque chaque puce fonctionne exactement comme le neurone qu’elle remplace, votre comportement et votre mémoire ne sont pas modifiés. Pourriez-vous noter une différence ? Est-ce que c’est la même chose que mourir ? Est-ce qu’une autre entité aurait alors emménagé à l’intérieur de vous ? »[vi].

Désormais, robotique, intelligence artificielle, nanotechnologies, génétique, œuvrent de concert pour améliorer L’Homme. Pour finalement en faire un monstre augmenté ? L’amputation volontaire arrivera-t-elle un jour ? Possiblement si les prothèses donnent des pouvoirs que le corps biologique ne permet pas naturellement, ou qu’elles nous rendent plus beau, plus forts ou plus intelligents. Malgré toutes ces « augmentations » présentes et surtout futures, même augmenté au maximum, l’Homme demeurera un être biologique évoluant dans un monde physique réel à risques, dépendant du vieillissement de ses organes.

A l’échelle de notre histoire, la phase post-humaniste de l’espère humaine ne pourrait être que de courte durée, l’Homme pourrait rapidement faire le choix, par facilité et urgence, de se dématérialiser plutôt que de continuer à s’augmenter biologiquement. Sur cette planète, nous sommes la première espèce vivante à être en mesure d’envisager cette éventualité de dématérialisation de notre corps et de notre esprit. La première espèce à pouvoir prendre le contrôle de notre propre évolution, à pouvoir s’affranchir de la sélection naturelle et envisager concrètement de s’affranchir de notre condition biologique première.

La révolution industrielle a remplacé nos muscles par des machines, la révolution de l’IA remplacera nos cerveaux par des agents intelligents, la révolution scientifique fera de nous des êtres biologiques augmentés. 

La révolution digitale ou virtuelle pourrait, quant à elle, nous faire prendre la place des machines en dématérialisant à la fois nos corps et nos cerveaux pour, in fine, possiblement nous ramener à notre état primaire d’Homo Data. Mais comment allons-nous rester humains au milieu de tout cela ? Et cela aura-t-il du sens de le rester ? Devrons-nous accepter un jour de céder la place à des générations d’êtres partiellement puis totalement digitalisés considérant les êtres biologiques comme des créatures d’une autre ère ?

[i] Pierre Teilhard de Chardin, 1881 – 1955, prêtre jésuite français, chercheur, paléontologue, théologien et philosophe

[ii] Max More

[iii] Hervé Juvinconférence au Parlement de Bruxelles – 31 janvier 2017

[iv] Jean-Paul Baquiast, Ce monde qui vient : sciences, matérialisme et posthumanisme au xxie siècle, préface de Paul Baquiast, L’Harmattan, 2014, p. 45

[v] Site Internet Histophilo

[vi] Steven Pinker, How the Mind Works