
Les super pouvoirs du Digital
Les super pouvoirs du Digital
Dépasser la vitesse du son, aller sur la lune, passer un appel vidéo à l’autre de la terre. Impossible ? Non, nous le faisons déjà dans le réel. Créer une infinité de mondes ? Se déplacer instantanément d’un bout à l’autre de la galaxie ? Vivre au temps des pharaons ? Rencontrer des extraterrestres, fuir devant un dinosaure, emprunter une voiture volante dans NY au 23eme siècle ? Impossible ? Non, nous le faisons déjà dans notre imaginaire mais aussi, et c’est tout nouveau à l’échelle de l’évolution, dans le virtuel. Pendant nos soirées cinéma, dans nos jeux vidéo, ou bien la tête dans notre casque de réalité virtuelle et les mains dans des gants de virtualisation sensorielle.
L’imaginaire développé à la lecture d’un livre ou à l’écoute d’une musique est désormais rejoint par le développement ultra rapide des technologies et interfaces d’immersion virtuelles qui commencent à rendre quasi réel les mondes imaginaires qu’elles développent. Les mondes virtuels que nous créons sont déjà des moyens pour nous de tester nos limites et surtout de les dépasser, de tester l’impossible et surtout l’interdit, nous goutons aux plaisirs virtuels de plus en plus souvent et ces derniers nous confrontent toujours davantage aux limitations de notre monde réel.
Depuis la naissance, notre imaginaire nous a toujours permis de nous projeter dans des mondes dans lesquels nous pouvions surpasser nos limites ou nos peurs, nous sommes accros à nous rêver plus grands, plus forts, plus riches, plus puissants. Avec l’arrivée des technologies de virtualisation nous pouvons expérimenter ces pouvoirs non plus isolément mais en communautés et augmenter là encore notre addiction à l’expansion. Les technologies virtuelles liées au web ont ainsi la capacité à faire vivre une même expérience à une multitude. Ainsi elles transposent des milliers de spectateurs virtuels sur le fauteuil du premier rang du central de Wimbledon, transposent nos avatars sur le terrain du Wembley Stadium en plein match. L’apothéose de ces technologies de virtualisation de masse sera certainement lorsque nous marcherons tous virtuellement dans les pas des premiers astronautes sur mars. De telles épopées humaines s’appuieront sur les technologies de réalité virtuelle et de virtualisation pour nous les faire vivre ensemble et à échelle réelle. Dès lors que les technologies de réalité virtuelle et de virtualisation sensorielle auront atteint un stade suffisant d’immersion, de réalisme et de confort, nous pourrions ne plus avoir systématiquement besoin de nous déplacer, nous pourrions même nous passer de nos astronautes. De simples robots munis de caméras et senseurs pourront déambuler à la surface des planètes ou des astéroïdes, y compris les plus hostiles, tout en permettant à chacun de vivre l’expérience à distance, et tous ensemble. Un seul robot pourra emmener avec lui des millions d’humains connectés, tous virtualisés dans un seul corps mécanique.
Nos technologies actuelles nous permettent déjà de dépasser nos limites humaines biologiques et nous donnent déjà quelques pouvoirs. Depuis longtemps la télévision nous fait voyager sans se déplacer, nous fait vivre des expériences, certes peu immersives et seulement contemplatives mais néanmoins déjà puissantes. En moins de cinq ans les progrès de la réalité virtuelle sont déjà tels qu’il est tout à fait pensable qu’en quelques décennies de plus, la technologie nous donnera pleinement l’impression d’être sur place, de faire corps avec l’expérience. En un clic, un geste ou une demande orale vous serez transposés au fond de la fosse des Mariannes, sur une plage des caraïbes, sur l’Olympus Mons de la planète mars. Le virtuel dispose de nombreux pouvoirs. Ainsi il n’est pas lié à des ressources physiques et des problème de stocks. Les mondes digitaux ont une matière infinie, alors que le réel est un espace fini. Lorsque étendre notre espace vital sur la mer prend des années de construction et des ressources considérables, dans un espace digital construire une planète ne prend seulement que quelques semaines de programmation. Le Virtuel donnera le don d’ubiquité, l’impression puis la sensation de pouvoir être partout tout le temps. En cela il surpasse largement les capacités que la réalité peut offrir. Dans les mondes numériques, l’être humain y exerce des capacités qu’il ne parvient pas à mettre en œuvre dans la réalité. Il s’y sent valorisé. Il peut en devenir dépendant.
Notre imaginaire, nos rêves, nos sensations, nos sentiments, nos émotions sont propres à chacun de nous et notre seul moyen de partager les expériences que nous y vivons sont de les exprimer ou les matérialiser en les écrire, les dessines. Le numérique dispose d’un pouvoir supplémentaire à l’imaginaire qui est de pouvoir véhiculer la même expérience, les mêmes images à tous les humains. Cela fait-il des mondes virtuels un média plus puissant que notre imaginaire, ou bien quelque chose de plus machiavélique, de plus destructeur de l’imaginaire de chacun ? Malgré son caractère universel, le support digital, même s’il tâche de structurer de façon équivalente tous les imaginaires, n’offre pas les mêmes sensations à chacun, cela relevant de notre humeur du moment (dictée principalement par les éléments réels). Si nous étions amenés à vivre dans un univers totalement virtuel et que notre environnement réel avait donc moins d’impact sur nous, le Virtuel aurait-il alors davantage d’emprise sur nous, arriverait-il à uniformiser nos sensations ? Le virtuel pourrait-il alors driver à la fois notre imaginaire et notre ressenti ? Se cacher sous la couette en pensant aux monstres rencontrés dans le jeu Day’s Gone ou dans le dernier film de Saw, vouloir embrasser une carrière de pilote de chasse après avoir vu Top Gun et joué à Ace Combat, motiver des études d’avocat après avoir regardé un homme d’exception ou en ayant fini le jeu Professeur Layton. Le pouvoir du virtuel sur l’imaginaire n’est pas nouveau, il peut rester longtemps gravé dans notre mémoire et peut donc influencer nos décisions et actes dans le monde réel.
Le Virtuel sait se parer de tous les artifices pour véhiculer des idées, des dogmes. Ce que le réel sait moins faire. Il n’est pas un socle numérique sur lequel il est facile et quasi instantané de créer des illusions. Dans le réel, les illusions sont portées par les hommes et quelques supports graphiques ce qui en limite implicitement la propagation. La réalité augmentée qui envahira prochainement notre réel permettra d’y projeter à loisir une infinité de messages.
» Il y a tellement de choses qui se passent dans le monde réel, tout est connecté par internet mais d’une certaine façon nous ne sommes plus vraiment connectés au monde réel. […] Je veux que les gens pensent à leur vie, prennent du recul, qu’ils regardent notre monde réel autrement et qu’ils se disent, ah oui c’est ça la connexion ou la déconnexion de notre monde « [i].
Nos écrans nous attirent sans cesse davantage, toujours plus grands et beaux à regarder, affichant des simulations 3D sans cesse plus réalistes et confortables à expérimenter, ils captent toujours plus de notre temps réel que nous consacrons alors à ces contenus virtuels. Ces fenêtres vers le virtuel deviennent, avec l’apparition des technologies de réalité virtuelle et augmentée, des portes. Ces dernières nous projettent à l’échelle réelle au sein du virtuel, gommant par la même la notion d’écran délimité dans un cadre. Non ici le visiteur virtuel est au centre de la scène virtuelle, il peut tenter de tourner sur lui-même pour s’en échapper, il est bel et bien totalement immergé. En complément de ces interfaces d’immersion visuelles sont apparues presque simultanément des appareils de manipulation virtuelle rendant le visiteur non plus seulement spectateur mais aussi et surtout acteur. Nos mains manipulent le virtuel, nos jambes bougent et nous font avancer, renforçant là encore la sensation d’immersion.
Le virtuel étant par définition dissocié du réel, il est tentant et de plus en plus facile de venir y chercher une forme de refuge, d’abord une courte déconnexion des contraintes réelles, pouvant se transformer en habitude puis possiblement en constante de vie. Mais bien sûr le Virtuel attire aussi par ses travers. Certains d’entre nous, une minorité, voient dans la connexion à des espaces virtuels ou à la plupart des jeux vidéo, un moyen de se désinscrire de tout ce qui nécessite le vivre ensemble physiquement. Pour eux, le Virtuel est moins un espace attirant qu’une tentative d’évasion de leur réalité sociale trop brute dans laquelle ils se sentent congestionnés, en perte de repères. Le Virtuel devient pour eux un moyen d’exacerber leur individualité loin du regard réel des autres, un moyen de croire que tout y est possible.
[i] Propos d’Hideo Kojima lors d’une conférence du festival Tribecca Film Festival de New-York, sur sa dernière création Death Stranding
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