Les super pouvoirs du Digital

Les super pouvoirs du Digital

Les super pouvoirs du Digital

 Dépasser la vitesse du son, aller sur la lune, passer un appel vidéo à l’autre de la terre. Impossible ? Non, nous le faisons déjà dans le réel. Créer une infinité de mondes ? Se déplacer instantanément d’un bout à l’autre de la galaxie ? Vivre au temps des pharaons ? Rencontrer des extraterrestres, fuir devant un dinosaure, emprunter une voiture volante dans NY au 23eme siècle ?  Impossible ? Non, nous le faisons déjà dans notre imaginaire mais aussi, et c’est tout nouveau à l’échelle de l’évolution, dans le virtuel. Pendant nos soirées cinéma, dans nos jeux vidéo, ou bien la tête dans notre casque de réalité virtuelle et les mains dans des gants de virtualisation sensorielle.

L’imaginaire développé à la lecture d’un livre ou à l’écoute d’une musique est désormais rejoint par le développement ultra rapide des technologies et interfaces d’immersion virtuelles qui commencent à rendre quasi réel les mondes imaginaires qu’elles développent. Les mondes virtuels que nous créons sont déjà des moyens pour nous de tester nos limites et surtout de les dépasser, de tester l’impossible et surtout l’interdit, nous goutons aux plaisirs virtuels de plus en plus souvent et ces derniers nous confrontent toujours davantage aux limitations de notre monde réel.

Depuis la naissance, notre imaginaire nous a toujours permis de nous projeter dans des mondes dans lesquels nous pouvions surpasser nos limites ou nos peurs, nous sommes accros à nous rêver plus grands, plus forts, plus riches, plus puissants. Avec l’arrivée des technologies de virtualisation nous pouvons expérimenter ces pouvoirs non plus isolément mais en communautés et augmenter là encore notre addiction à l’expansion. Les technologies virtuelles liées au web ont ainsi la capacité à faire vivre une même expérience à une multitude. Ainsi elles transposent des milliers de spectateurs virtuels sur le fauteuil du premier rang du central de Wimbledon, transposent nos avatars sur le terrain du Wembley Stadium en plein match.  L’apothéose de ces technologies de virtualisation de masse sera certainement lorsque nous marcherons tous virtuellement dans les pas des premiers astronautes sur mars. De telles épopées humaines s’appuieront sur les technologies de réalité virtuelle et de virtualisation pour nous les faire vivre ensemble et à échelle réelle. Dès lors que les technologies de réalité virtuelle et de virtualisation sensorielle auront atteint un stade suffisant d’immersion, de réalisme et de confort, nous pourrions ne plus avoir systématiquement besoin de nous déplacer, nous pourrions même nous passer de nos astronautes. De simples robots munis de caméras et senseurs pourront déambuler à la surface des planètes ou des astéroïdes, y compris les plus hostiles, tout en permettant à chacun de vivre l’expérience à distance, et tous ensemble. Un seul robot pourra emmener avec lui des millions d’humains connectés, tous virtualisés dans un seul corps mécanique.

Nos technologies actuelles nous permettent déjà de dépasser nos limites humaines biologiques et nous donnent déjà quelques pouvoirs. Depuis longtemps la télévision nous fait voyager sans se déplacer, nous fait vivre des expériences, certes peu immersives et seulement contemplatives mais néanmoins déjà puissantes. En moins de cinq ans les progrès de la réalité virtuelle sont déjà tels qu’il est tout à fait pensable qu’en quelques décennies de plus, la technologie nous donnera pleinement l’impression d’être sur place, de faire corps avec l’expérience. En un clic, un geste ou une demande orale vous serez transposés au fond de la fosse des Mariannes, sur une plage des caraïbes, sur l’Olympus Mons de la planète mars. Le virtuel dispose de nombreux pouvoirs. Ainsi il n’est pas lié à des ressources physiques et des problème de stocks. Les mondes digitaux ont une matière infinie, alors que le réel est un espace fini. Lorsque étendre notre espace vital sur la mer prend des années de construction et des ressources considérables, dans un espace digital construire une planète ne prend seulement que quelques semaines de programmation. Le Virtuel donnera le don d’ubiquité, l’impression puis la sensation de pouvoir être partout tout le temps. En cela il surpasse largement les capacités que la réalité peut offrir. Dans les mondes numériques, l’être humain y exerce des capacités qu’il ne parvient pas à mettre en œuvre dans la réalité. Il s’y sent valorisé. Il peut en devenir dépendant.

Notre imaginaire, nos rêves, nos sensations, nos sentiments, nos émotions sont propres à chacun de nous et notre seul moyen de partager les expériences que nous y vivons sont de les exprimer ou les matérialiser en les écrire, les dessines. Le numérique dispose d’un pouvoir supplémentaire à l’imaginaire qui est de pouvoir véhiculer la même expérience, les mêmes images à tous les humains. Cela fait-il des mondes virtuels un média plus puissant que notre imaginaire, ou bien quelque chose de plus machiavélique, de plus destructeur de l’imaginaire de chacun ? Malgré son caractère universel, le support digital, même s’il tâche de structurer de façon équivalente tous les imaginaires, n’offre pas les mêmes sensations à chacun, cela relevant de notre humeur du moment (dictée principalement par les éléments réels). Si nous étions amenés à vivre dans un univers totalement virtuel et que notre environnement réel avait donc moins d’impact sur nous, le Virtuel aurait-il alors davantage d’emprise sur nous, arriverait-il à uniformiser nos sensations ? Le virtuel pourrait-il alors driver à la fois notre imaginaire et notre ressenti ? Se cacher sous la couette en pensant aux monstres rencontrés dans le jeu Day’s Gone ou dans le dernier film de Saw, vouloir embrasser une carrière de pilote de chasse après avoir vu Top Gun et joué à Ace Combat, motiver des études d’avocat après avoir regardé un homme d’exception ou en ayant fini le jeu Professeur Layton. Le pouvoir du virtuel sur l’imaginaire n’est pas nouveau, il peut rester longtemps gravé dans notre mémoire et peut donc influencer nos décisions et actes dans le monde réel.

Le Virtuel sait se parer de tous les artifices pour véhiculer des idées, des dogmes. Ce que le réel sait moins faire. Il n’est pas un socle numérique sur lequel il est facile et quasi instantané de créer des illusions. Dans le réel, les illusions sont portées par les hommes et quelques supports graphiques ce qui en limite implicitement la propagation. La réalité augmentée qui envahira prochainement notre réel permettra d’y projeter à loisir une infinité de messages.

 » Il y a tellement de choses qui se passent dans le monde réel, tout est connecté par internet mais d’une certaine façon nous ne sommes plus vraiment connectés au monde réel. […] Je veux que les gens pensent à leur vie, prennent du recul, qu’ils regardent notre monde réel autrement et qu’ils se disent, ah oui c’est ça la connexion ou la déconnexion de notre monde « [i].

Nos écrans nous attirent sans cesse davantage, toujours plus grands et beaux à regarder, affichant des simulations 3D sans cesse plus réalistes et confortables à expérimenter, ils captent toujours plus de notre temps réel que nous consacrons alors à ces contenus virtuels. Ces fenêtres vers le virtuel deviennent, avec l’apparition des technologies de réalité virtuelle et augmentée, des portes. Ces dernières nous projettent à l’échelle réelle au sein du virtuel, gommant par la même la notion d’écran délimité dans un cadre. Non ici le visiteur virtuel est au centre de la scène virtuelle, il peut tenter de tourner sur lui-même pour s’en échapper, il est bel et bien totalement immergé. En complément de ces interfaces d’immersion visuelles sont apparues presque simultanément des appareils de manipulation virtuelle rendant le visiteur non plus seulement spectateur mais aussi et surtout acteur. Nos mains manipulent le virtuel, nos jambes bougent et nous font avancer, renforçant là encore la sensation d’immersion.

Le virtuel étant par définition dissocié du réel, il est tentant et de plus en plus facile de venir y chercher une forme de refuge, d’abord une courte déconnexion des contraintes réelles, pouvant se transformer en habitude puis possiblement en constante de vie. Mais bien sûr le Virtuel attire aussi par ses travers. Certains d’entre nous, une minorité, voient dans la connexion à des espaces virtuels ou à la plupart des jeux vidéo, un moyen de se désinscrire de tout ce qui nécessite le vivre ensemble physiquement. Pour eux, le Virtuel est moins un espace attirant qu’une tentative d’évasion de leur réalité sociale trop brute dans laquelle ils se sentent congestionnés, en perte de repères. Le Virtuel devient pour eux un moyen d’exacerber leur individualité loin du regard réel des autres, un moyen de croire que tout y est possible.

[i] Propos d’Hideo Kojima lors d’une conférence du festival Tribecca Film Festival de New-York, sur sa dernière création Death Stranding

L’expansion du virtuel

L’expansion du virtuel

L’expansion du virtuel

Le développement du Virtuel, de ses technologies, de ses interfaces, de ses univers est mondial, fulgurant, exponentiel. Les interfaces et mondes virtuels font déjà partie prenante de notre quotidien et ne cessent d’accaparer toujours davantage de notre temps réel.

Dans un futur proche, les interfaces de réalité virtuelles et augmentées seront la norme, chacun disposera d’une paire de lunettes de réalité augmentée et d’interfaces de réalité virtuelle comme on possède aujourd’hui une banale paire de lunettes ou une télévision dans son salon. Cette intrusion grandissante des technologies virtuelles nous incite déjà toujours davantage à quitter notre monde réel pour s’immerger toujours plus loin et plus longtemps dans les mondes virtuels.

Les interfaces de virtualisation et les mondes virtuels se banaliseront comme l’on fait auparavant le cinéma, la télévision, le téléphone et même récemment le jeu vidéo. Volontairement ou malgré nous, nous apprenons à vivre avec ces myriades d’interfaces numériques qui nous entourent, maintenant nos smartphones, tablettes, écrans de toutes tailles et très bientôt nos casques de réalité virtuelle et lunettes de réalité augmentées. La plupart de nos activités personnelles ou professionnelles passent désormais par ces interfaces écrans. Travailler, échanger, écrire, dessiner, lire, se divertir, chercher son chemin, se déplacer, faire ses courses, se tenir informés de l’actualité, dessiner le plan de sa maison, etc. la plus grande partie de nos activités se sont en quelque sorte digitalisées. Il existe désormais des applications pour à peu près tout et des capteurs en tous genres viennent compléter l’arsenal de notre connectivité. Depuis seulement quelques dizaines d’années, c’est-à-dire rien à l’échelle de son évolution, notre corps biologique, et prioritairement nos yeux, doivent désormais s’adapter à l’ensemble de ces nouveaux espaces de virtualisation qui, parce qu’ils y regroupent la plupart de nos activités, de nos amis et collègues, pourraient bientôt devenir les principaux points de rencontre et d’évolution sociale d’une grande partie de l’espèce humaine.

Le virtuel ne cesse de devenir toujours plus accessible, plus immersif, plus palpable, son déploiement est exponentiel, mondial, il touche toujours plus de monde, de catégories sociales. Il ne cesse de croître et de nous donner de nouvelles facultés. Par les capacités et super pouvoirs qu’il donne, le virtuel pourrait y aspirer une bonne partie de l’humanité, voir pourquoi pas sa totalité. Il a déjà commencé à nous happer dans ses histoires, ses expériences, dans ses mondes, il pourrait devenir notre future réalité. La 5G amene la réalité augmentée partout avec nous. En vous promenant dans les rues de Londres vous pouvez passer un appel vidéo à 360 degrés avec un proche lui-même en train de courir dans les collines aux abords de Sydney.

Le Virtuel sera partout avec vous, il aura gagné le pouvoir d’enveloppement quasi permanent et le pouvoir d’ubiquité, disponible partout et sur tous supports. Le réel sera augmenté, envahi et métamorphosé par le virtuel. À l’image de cette vidéo quasi parodique d’Hyper Reality[i] , de l’artiste japonais Keiichi Matsuda qui nous projeté dans un monde sur virtualisé ayant fini d’affadir complètement le réel, ce dernier ne servant plus qu’à être le support du virtuel avec des QR codes partout pour que les technologies de réalité augmentée puissent s’y greffer. A un point où nous ne pourrions plus nous satisfaire du réel seul, sans augmentation visuelle ou sonore.

Imaginez un univers enveloppé par le digital, si réaliste que vous ne pourriez en discerner la virtualité. Un univers fait de milliards de polygones 3D, de textures hautes fidélité, de son surrond et de capteurs sensoriels qui si vous êtes immergé vous donne non plus l’impression mais bien la sensation d’exister ailleurs et de pouvoir exister partout. Imaginez que vous puissiez entrer dedans d’un simple mouvement, le modeler à votre guise et y rencontrer vos amis, vos collègues ou famille même si ceux-ci sont à des milliers de kilomètres de vous. Choisiriez-vous de demeurer cramponné à la réalité ou bien vous laisseriez vous tentés par des immersions de plus en plus fréquentes et bientôt quasi permanentes ? Les mondes virtuels que vous visiteriez et dans lesquels vous décideriez d’habiter, deviendraient votre nouvelle réalité, celle également d’une majorité de vos semblables ayant choisi de virtualiser une part toujours plus importante de leur temps et de leur existence. Arpenter ces mondes digitalisés donnerait l’impression de fouler le sol de nouvelles planètes, procurerait une excitation de la découverte permanente, mais aussi possiblement une lassitude constante, un besoin irrépressible de nouveauté perpétuelle.

Les plus grandes révolutions humaines se passent sans que l’on s’en rende vraiment compte. On multiplie des habitudes de comportement ou on adopte de nouvelles façons de penser, des nouvelles techniques de travail, de déplacement ou de divertissement et tout d’un coup tout a changé. Vous expérimentez chaque jour des couples ou personnes dans la rue qui même l’une en face de l’autre ne vont plus se parler mais regarder chacune de leur côté leur smartphone. L’humain est en train, sans vraiment s’en apercevoir, d’intermédier par le digital ses relations avec les autres. L’être ici, l’être là et l’être ensemble sont bouleversés par nos smartphones.
Nous sommes présents physiquement mais notre conscience est ailleurs. Les rapports aux autres, au temps et aux lieux sont métamorphosés par des technologies telles que les réseaux sociaux qui donnent l’illusion d’une proximité avec les autres.
« Les technologies deviennent des prothèses du corps et de l’esprit qui posent la question de savoir si ces outils ne finissent pas par nous commander. » Petit à petit nos actions du quotidien et nos manières de penser changent, évoluent par le biais des technologies qui ont envahi notre quotidien.
De même nous parlons de plus en plus à nos assistants personnels et robots ce qui conditionne nos façons d’interagir même avec nos congénères. Nous nous habituons à interagir avec des interfaces digitales guidées par des IA et le Big data qui finissent par nous conseiller au plus près de nos désirs et habitudes. « Le robot devient une part de notre esprit »[ii].

[i] Vidéo « Hyper Reality » – Keiichi Matsuda – YouTube

[ii] Hervé Juvin – conférence au Parlement de Bruxelles – 31 janvier 2017

Digital vs Virtuel

Digital vs Virtuel

Digital vs Virtuel

Il est communément admis que le Virtuel a une connotation davantage péjorative que positive. Définissant l’absence d’existence, il va à l’encontre de la réalité au sein de laquelle nous nous définissons, dans laquelle nous évoluons et qui nous rassure.

« Nous avons créé des mondes que nous savons, la plupart du temps, être d’une réalité autre que celle dans laquelle nous évoluons habituellement. Cette réalité, nous la désignons, d’ailleurs, comme étant « virtuelle » ; c’est-à-dire « qui est seulement en puissance mais sans effet actuel »[i].

Dans le langage commun, le terme Digital oppose frontalement l’analogique au numérique, le biologique au virtuel. Les anglosaxons lui ajoutent une dimension supplémentaire de « chiffres », c’est-à-dire implicitement de data, de données. Le monde digital est ainsi qualifié d’environnement virtuel constitué de data. Notre monde étant composé d’informations et créant une infinité de données, les limites entre ces deux états d’existence ne cessent de se flouer.

Les termes digitalisation, numérisation, virtualisation ou dématérialisation caractérisent quand à eux le passage d’un état analogique à un état numérique. Mais se virtualiser ne veut pas exclusivement dire se transposer dans une machine, il peut s’agir de changer d’état et pas seulement de manière numérique. La notion de virtuel dépasse bien largement celle de projection digitale au sens numérique.

 Le Virtuel est un terme qui a d’abord été utilisé pour désigner ce qui est seulement en puissance, sans effet actuel. Il s’emploie souvent pour signifier l’absence d’existence. Puis à partir des années 1980, le terme est entré dans une nouvelle dimension pour désigner ce qui se passe dans un ordinateur ou sur internet, c’est-à-dire dans un monde numérique par opposition au monde physique.

Il est frappant de voir que le Virtuel est passé, en quelques décennies seulement, d’une qualification d’« absence d’existence » au stade de « monde numérique », c’est-à-dire d’un état de rien à une infinité d’espaces et de possibilités. Par nos évolutions technologiques nous avons donné naissance et substance à une matière jugée inexistante et immatérielle. L’humanité considère désormais le virtuel comme des mondes possibles dans lequel il est possible d’entrer quotidiennement pour se rencontrer, travailler, se divertir.

Intellectuellement, il est désormais du domaine du possible qu’après avoir créé cette matière numérique, nous pourrions lui donner « vie », c’est à dire décider de s’y retrouver de plus en plus souvent et en grand nombre, avant de s’y immerger définitivement ?

Aujourd’hui le virtuel est palpable au travers de nos écrans et interfaces numériques, il est visitable grâce à la puissance de calcul de nos cartes graphiques mais un jour il pourrait pénétrer notre cerveau, s’y brancher jusqu’à nous projeter dans un autre réel.

Désormais virtuel ou digital regroupent les notions de mondes virtuels, de contenus fictionnels, d’interfaces augmentées, d’immersion sensorielle, de réalités virtuelles et augmentées, d’interfaces neuronales et de tous les futurs moyens qui nous connecteront, nous immergerons dans de nouveaux mondes, qui nous déconnecteront du réel ou au contraire l’augmenteront.

Ce Virtuel au sens global, porté par les développements humains, tente chaque jour de rejoindre les capacités quasi infinies de notre imaginaire en nous dotant de pouvoirs toujours plus puissants tels que de créer des mondes virtuels pouvant immerger simultanément des centaines voire milliers de personnes.

« Nous aurions sans doute tort de concevoir le « virtuel » comme renvoyant totalement à la dimension imaginaire de l’expérience. Une telle conception nous amènerait à envisager le sujet comme lui-même dupé par l’artifice du virtuel. »[ii]

Il est plus profitable de tenter de saisir les ressorts que les individus cherchent à puiser dans le virtuel que de s’y confronter ou d’en tirer des réactions catastrophiques ou réactionnaires. C’est la marche des choses, celle du progrès humain.

[i] Le Nouveau Littré, Edition 2006, Op. Cit.

[ii] Mondes virtuels et capacité d’illusion : les avatars du lien (Christophe Janssen et Sophie Tortolano – Cahiers de psychologie clinique 2010/2 (n° 35)

Exister face à l’Intelligence Artificielle

Exister face à l’Intelligence Artificielle

Exister face à l’Intelligence Artificielle

« L’IA a 90% de chances d’avoir rejoint notre niveau d’intelligence en 2080 »[i]

« Grand mythe de notre temps »[ii], l’Intelligence Artificielle réunit de nombreuses sciences et technologies humaines avec pour objectif de simuler l’Intelligence. L’Intelligence Artificielle nécessite ainsi de comprendre de quoi est fait l’intelligence en général, celle des humains, des animaux, même d’envisager d’autres formes d’intelligences. L’intelligence n’est pas exclusivement liée à l’humain ni même à la vie. L’intelligence se définit communément comme un ensemble de processus retrouvés dans des systèmes, plus ou moins complexes, vivants ou non, qui permettent de comprendre, d’apprendre ou de s’adapter à des situations nouvelles. L’intelligence a été décrite comme une faculté d’adaptation, c’est-à-dire une faculté d’apprentissage permettant de s’adapter à l’environnement ou au contraire, la faculté de le modifier pour l’adapter à ses propres besoins. Ainsi, humains, animaux, plantes ou encore outils informatiques font preuve de formes d’intelligences. La définition même de l’intelligence fait l’objet de débats scientifiques, philosophiques car plus l’Homme fait grandir sa réalité observable plus il se rend compte que l’intelligence peut se cacher et s’exprimer en toutes choses. Encore aujourd’hui, le concept d’Intelligence reste mal défini et n’obtient pas de consensus clair au sein des communautés scientifiques[iii]. Mais la définition qui réunit toutes les autres demeure celle qui qualifie l’Intelligence de comme étant la capacité de traiter l’information pour atteindre des objectifs.

Dans notre volonté d’expansion, l’Homme a depuis longtemps cherché à se dupliquer, et à augmenter toujours davantage ses capacités cognitives. Les premières Intelligence Artificielles sont longtemps restées des scripts et algorithmes plus ou moins complexes jusqu’à ce que nous commencions à copier le fonctionnement de notre propre cerveau, au travers de procédés tels que le machine learning, le deep learning, les agents intelligents virtuels, etc. A contrario de l’intelligence humaine évoluant dans chacun de nos cerveaux déconnectés les unes des autres et dans un monde réel, l’IA Virtuel évolue par définition dans le Digital sans limites liées au réel. Notions de réel et de virtuel digital s’entremêlent aussi grâce ou à cause de l’IA, au travers d’ « agents intelligents » virtuels ou d’ « agents physiques ». La limite entre les deux est floue étant donné que les agents virtuels peuvent se télécharger dans des agents physiques, càd des robots. Pour les agents Virtuels, les agents physiques sont ainsi des moyens de reprendre possession du monde réel.

L’IA consiste à développer une intelligence en dehors de l’humain avec le risque qu’elle vienne le concurrencer. Ainsi, en mettant des parties de son intelligence dans des programmes et en abandonnant progressivement des morceaux de la sienne, l’homme pourrait s’être rendu obsolète plus vite qu’anticipé, voire avoir créé son pire ennemi. Nous sommes déjà arrivés à un point où désormais notre cerveau biologique évolue moins rapidement que les cerveaux de silicium. Il nous faut vingt ans d’études pour apprendre ce qu’une machine peut assimiler en quelques secondes. Nous aurons bientôt systématiquement un temps de retard par rapport aux machines, et nous coûtons déjà bien plus cher, pourrons tomber malade ou enceinte. De plus en plus de métiers commencent ainsi à être mis en concurrence avec des logiciels. Mais tant que l’IA profitera économiquement à certains Hommes, ces derniers continueront de la développer. Ainsi, pour espérer bénéficier des mêmes capacités que l’IA, voire même lui survivre, l’Homme pourrait devoir se virtualiser.

D’abord intelligence biologique autonome, l’Homme a développé un puissant imaginaire universel lui permettant de décupler les pouvoirs de la multitude. Plus notre intelligence augmente, plus notre niveau de conscience grandit, plus nous découvrons des choses et théories complexes qui nécessitent le développement de technologies et désormais d’IA pour les comprendre, pour augmenter nos capacités de calcul biologique. Pour amplifier ses capacités cognitives, l’être humain a récemment développé des technologies informatiques et numériques lui permettant de traiter d’immenses volumes de données. Ces technologies utilisent aujourd’hui la quantification numérique dans un système binaire associé à des machines de traitement à deux états de fonctionnement. En clair, cela veut dire que les données de notre monde sont vues par des capteurs artificiels qui traduisent en nombre qui sont traités par des machines à état appelées ordinateurs. L’être humain a ainsi pour le moment confié à des machines binaires la tâche de comprendre un monde quantique, non binaire. Mais depuis peu l’Homme tente de s’affranchir de conception numérique très limitante par le développement d’ordinateurs quantique, davantage en phase avec la composition du monde qu’ils étudieront.

Le développement  de l’IA sera exponentiel et inéluctable car il répond au désir premier et instinctif de l’Homme, celui de continuer sans cesse à expandre son niveau de conscience et de pouvoir sur son univers.
Deux chemins s’ouvriront alors à nous, rester biologiques et accepter d’être secondés voir remplacés potentiellement par l’IA ou devenir digitaux, nous dématérialiser pour devenir des formes d’IA, capables par nous-même de réaliser nos ambitions. Ce chemin possible vers la dématérialisation ne se fera pas de façon linéaire tout comme l’ont été nos précédentes révolutions industrielles ou cognitives, il aura ses défenseurs et réfractaires, ses succès et erreurs, ses motivations et ses peurs.
Désormais fusionnée et numérique, l’intelligence collective de l’Homme entre désormais dans une phase d’expansion exponentielle qui commence déjà à se heurter aux limites de sa condition biologique.

Malgré un cerveau hors pair au milieu de l’univers, nous n’exploitons encore semble-t-il que très peu de ses capacités. Happés par cette expansion effrénée, nous développons désormais des intelligences dites artificielles en dehors de notre corps sans pour autant faire progresser notre cerveau. L’IA, nouvel eldorado, ne cesse d’augmenter notre intelligence, de la seconder, au risque d’abandonner certains pans de notre propre intelligence. Ainsi l’Homme injecte de l’intelligence partout en dehors de son corps, dans des agents virtuels, des logiciels ou des agents physiques. Cette externalisation de sa propre intelligence amènera certainement sa conscience à un nouveau palier, lui permettant peut-être de changer son rapport à l’univers. Pour continuer de croître, mais aussi pour exister face aux IA toujours plus poussées, l’Homme devra faire le choix soit de s’émanciper de sa limite biologique en la déportant dans des IA, soit en digitalisant son être biologique. Deux principaux courants d’IA existent, l’IA Forte qui consiste à recréer ce qui est pour nous le summum de l’Intelligence, celle de l’Homme, et l’IA Faible, qui se contente de recréer des briques d’intelligence adaptées à chaque système. L’IA évolue par définition nativement dans le monde numérique, elle est Virtuelle, les scientifiques parlent ainsi d’agents intelligents virtuels qui prennent la forme de programmes informatiques, de scripts ou d’algorithmes. Mais l’IA se joue déjà de la limite entre réel et virtuel car certaines commencent à être intégrées dans des robots, on les appelle Agents Physiques.

Intelligence Artificielle, Augmentée, Absolue, Autonome

Même si le mot IA doit pour le moment être employé avec beaucoup de retenue, car ce que beaucoup qualifient d’IA est encore une addition de scripts automatisant des tâches, et dont le marché s’est emparé pour en faire son relais de croissance, l’IA connaît malgré tout une progression fulgurante qui pourrait connaitre des cycles de croissance.

D’abord « biologique », l’Intelligence est devenue « Artificielle » lorsque nous avons commencé à la coder dans nos ordinateurs et super calculateurs.

Aujourd’hui, l’intelligence s’apprête à devenir « Augmentée » car elle seconde toujours davantage nos capacités cognitives et oriente de plus en plus de nos choix. A ce stade c’est notre Intelligence Biologique qui pourrait bientôt disposer d’un nouveau suffixe A, celui d’« Abandonnée », qualifiant les pans d’intelligence et de libre arbitre que nous abandonnons toujours plus au profit des machines.

Puis l’Intelligence pourrait devenir « Absolue », elle rejoindrait d’abord à minima le niveau cognitif moyen de l’humain, puis elle développerait ses propres schémas de pensées hors de notre portée comme l’a fait DeepBlue récemment avec AlphaGo, elle deviendrait rapidement inintelligible. Elle entrerait dans une phase d’expansion d’elle-même sans limite, elle cheminerait vers sa conscience pour enfin atteindre le stade « Autonome », disposant d’une conscience d’elle-même.

Dès le stade d’IA Absolue, celle-ci sera capable de programmer ses propres applications pour s’augmenter elle-même. De programme tier dédiée à des tâches spécifiques ou répétitives, elle pourrait également se dupliquer à l’infini pour augmenter exponentiellement ses capacités de calcul, se créer une race IA avec ses propres objectifs communs. Par ses capacités, l’IA pourrait prendre rapidement conscience d’elle-même, commencer à se positionner en concurrence d’autres IA et d’autres programmes, puis un jour possiblement concurrencer l’Homme lui-même. « Pas vraiment un scénario à la Terminator, plutôt une évolution plus subtile rendant Progressivement l’humanité inutile ». (Citation de Yuval Harari)

« L’intelligence artificielle continuera d’évoluer, transformant les ordinateurs en de véritables cerveaux qui outrepasseraient les capacités humaines et seraient également capables de parler, d’écouter et de se souvenir »[iv].

Face aux enjeux de sa planète et la fulgurance de l’évolution des IA par rapport à notre condition biologique, L’Homme n’aura peut-être pas le temps de passer par un stade intermédiaire, notamment augmenté notamment du cyberpunk, où apparaissent des humains « connectés », surchargés de prothèses en tout genre, mi-hommes, mi-machines[15]. 

Avant de devenir inutile dans le réel et le virtuel et pour survivre à la fulgurance de l’IA, peut-être que l’Homme devra en devenir une forme concurrente ou complémentaire au sein d’un monde exclusivement digital.

[i] Nick Bostrom – TED What happens when our computers get smarter than we are?

[ii] CNIL – propos sur l’Intelligence Artificielle

[iii] Intelligence : Knowns and unknowns – American Psychologist, vol. 51, no 2,‎ 1er février 1996

[iv] Article : « Voici à quoi ressemblera notre monde dans 1 000 ans » – Daily Geek Show

L’Homme maître de la data

L’Homme maître de la data

L’Homme maître de la data

Pendant des millénaires, l’être humain n’a eu connaissance du monde réel qu’à travers ses cinq sens naturels, sa vue, son ouïe, son odorat, son goût et son toucher. Les données étant de natures très différentes suivant leur source et nécessitant d’être transformées préalablement à leur traitement, le cerveau humain a alors développé une capacité de raisonnement permettant de combler les lacunes inhérentes à la faiblesse de ses capteurs biologiques. Malgré le fait que nous n’ayons pour le moment aucun point de comparaison avec une autre forme de vie hors système solaire, il semblerait qu’à l’échelle de l’évolution de données biologiques comparables, la progression de l’intelligence et de la conscience de l’Homme, surtout dans les cinq derniers millénaires, ait été fulgurante. Même si la conscience de l’Homme d’être lui-même constitué d’un assemblage complexe d’informations élémentaires ne fait qu’émerger, la donnée est déjà, pour lui, une matière exploitable qui lui permet de développer son intelligence, son imaginaire, ses technologies et donc son seuil de conscience, de lui-même et de son monde réel.

« Le Graal de l’IA sera la compréhension de l’Homme en tant que machine »[i].

Des prémices de l’apprentissage de la manipulation de la data par le numérique nous pourrions, dans un avenir proche, traiter simultanément la donnée biologique et numérique, puis traiter la donnée de l’univers data, pour peut-être même atteindre un jour la conscience que les deux ne forment qu’un. De nature data et happé par son besoin d’expansion effréné, l’Homme a récemment développé des outils technologiques qui font progresser exponentiellement ses capacités de traitement de données qui participent certainement à le différencier encore davantage des autres formes de vies potentiellement intelligentes de l’univers. La quête d’expansion de l’Homme fait de lui un producteur et consommateur effréné de datas biologiques et numériques. Et nos évolutions techniques et numériques rendent l’accroissement de ces dernières exponentielles. Ainsi, en quelques années seulement nous avons produit plus de data que pendant toute notre évolution.
Certes des datas numériques oui mais nous avons toujours généré beaucoup de datas biologiques.

Notre quête d’expansion vers l’infini a entraîné l’augmentation exponentielle de la population humaine, de ses constructions, de ses créations, et surtout de ses besoins, pour générer, in fine, un monde réel extrêmement complexe à comprendre et à gérer. Un monde empli de normes et de paramètres à prendre en compte pour effectuer la moindre action qui nécessitent désormais de rationaliser massivement nos métiers, nos technologies, notre environnement, notre expansion urbaine et même nos interactions. Le réel réclame ainsi de plus en plus d’être numérisé pour en permettre sa compréhension, faciliter sa gestion, optimiser sa consommation, anticiper ses risques, augmenter sa productivité, le gamifier, l’augmenter. Face à cette complexité du monde moderne, l’humanité s’est organisée en métiers de plus en plus spécialisés qui ont fini par se siloter et à oublier de se parler. Ainsi chacun a commencé à générer de la donnée de son côté, multipliant les métiers spécialisés.

L’univers data est devenu pour l’homme une matière à étudier, un vecteur d’éveil de sa conscience, un monde à maîtriser. L’Homme ne voulait pas le subir, il voulait le maîtriser, y prendre une place plus importante. La data est devenu un « or noir » car elle est le premier moyen de reprendre possession de la compréhension de notre monde et de nos congénères. Étudier des cellules, le fonctionnement des flux de population, étudier le réchauffement climatique, analyser les liens de causes à effet, anticiper, prévoir, bientôt prédire, la data nous aide à mieux comprendre pour in infe rationaliser notre monde, notre univers. L’essor de l’exploitation de l’ensemble des typologies de données a pris forme très récemment lorsque les technologies numériques ont atteint le niveau de maturité suffisant et que l’ensemble des secteurs d’activités y ont tous détecté un gisement de valeur économique et sociétal. Les technologies numériques et la virtualisation permettent de créer une surcouche digitale sur la donnée organique, biologique pour en comprendre les mécanismes et en déduire les comportements. Et leur évolution permet chaque année de traiter toujours davantage de données.

Notre monde du 20eme siècle donne toujours plus d’importance à la donnée qui par définition est virtuelle, impalpable et loin d’être fictionnelle. Le réel semble alors en besoin permanent de data pendant que le Virtuel de son côté permet d’en traiter toujours plus.

« Archiver le monde fait partie de la nature humaine »[ii].

La data n’est plus seulement captée exclusivement dans le virtuel, elle est désormais de plus en plus captée dans le monde réel, IOT, capteurs en tous genre, là aussi les technologies et business model se multiplient pour tenter de toujours mieux capter l’information de notre monde, pour le comprendre et mieux le rationaliser.

Les mondes virtuels et réel semblent tous deux bardés de capteurs. Vous pensiez pouvoir vous échapper, vous réfugier dans l’un ou l’autre de ces deux mondes ? Non, il sera prochainement tout aussi facile de déterminer votre position, de vous écouter, d’historiser vos décisions dans le réel que dans le virtuel. Et cela a déjà pris une ampleur conséquente via nos téléphones portables, parfaites sondes accrochées à chacun de nous tout au long de nos journées.

« Pour fidéliser les « fortniteurs », et grâce à l’analyse des millions de données enregistrées à chacune de leurs connexions, elle s’assurait qu’ils étaient à l’aise et satisfaits. Donc, qu’ils lui seraient fidèles »[iii].

« Désormais, nous sommes suivis, pistés, démasqués, mis en catégories, enregistrés. À chacune de nos innombrables connexions quotidiennes, nous dévoilons un peu plus de notre intimité. On sait tout de nous, de nos préférences, de nos espoirs, de nos petites manies inavouables… »[iv].

La data c’est aussi ce qui permet aux façonneurs de mondes virtuels, de les concevoir à notre image, sur la base des données recueillies de nos activités et réactions passées. Les architectes de ces mondes virtuels dans lesquels chaque jour nous nous immergeons toujours davantage, nos interfaces de travail ou de détentes, nos applications smartphones, nos salles de conférences virtuelles, nos jeux vidéo ou expériences en lignes, sont toutes créées sur la base d’études comportementales très poussées. La data est devenue la brique de création de toutes nos interfaces virtuelles numériques afin de les modeler à notre image ou plus précisément à celle du plus grand monde, afin de répondre à la majorité de nos pulsions et envie, et de nous convaincre d’y rester le plus longtemps possible.

[i] L’intelligence Artificielle en images – Henry Brighton et Howard Selina – edp sciences

[ii] Diana Zielinski (intervention TED, comment stocker des données numériques dans l’ADN)

[iii] Article « Les ados malades de « Fortnite » », journal Le Monde, avril 2019

[iv] Big Data, penser l’homme et le monde autrement – Gilles Babinet